Sainte Trinité (C) Jn 16, 12-15

Peut-on prêcher facilement sur la Trinité ? Saint Bernard écrit que c'est un sujet « infini, incompréhensible et absolument simple ».
Certes on peut dire : la Trinité, c'est le Père et le Fils qui s'offrent intégralement l'un à l'autre et cela est si fort – et si gratuit – que cela donne le Saint Esprit. Cependant nous en restons à une explication, sur laquelle on peut méditer … mais cela ne va pas très loin en profondeur. C'est quelque part trop simple … mais pas au sens de saint Bernard lorsqu'il disait que c'est un sujet « absolument simple » .
Car comme l'écrit François Varillon : « La simplicité divine n'est pas simple comme devient simple ce que nous simplifions ».

Alors comment faire ?
Il y a quelques années, un frère nous a partagé sa lecture d'un théologien de notre temps, dont cette phrase : « L'amour fait oublier qu'il se donne au point de se recevoir de celui à qui il s'est donné » (Joseph Moingt).
Et là, par rapport à l'explication qui précède, nous avons un saut qualitatif, un saut en profondeur.

Nous faisons de cela l'expérience concrète, dans nos relations les plus quotidiennes, et d'abord de son contraire : l'amour qui ne fait pas oublier qu'il se donne ; l'amour qui se montre, l'amour intéressé qui se regarde aimer, l'amour captateur que nous fuyons.
C'est plus difficile de le voir en nous … et surtout moins glorieux. Mais soyons honnêtes : aimer de manière totalement oblative, de manière totalement désintéressée n'est pas si courant dans nos vies ; c'est même assez rare.
Nous sentons aussi combien plus un amour est gratuit, plus il fait grandir, tant du côté de celui qui donne que du côté de celui qui reçoit. Giono aimait particulièrement cette phrase : « L'amour, c'est l'accroissement de nous-mêmes ».

Cette expérience peut nous donner d'approcher qui est Dieu Trinité ; mais pour cela, restons à ce que nous vivons à notre échelle.
– Nous connaissons tous des personnes qui font travailler les autres et qui récupèrent leur travail pour se l'attribuer ; c'est injuste et on a le droit – et peut-être même le devoir – de ne pas se laisser faire. Le paroxysme de cette posture était utilisé par Helena Ceaucescu, qui en plus faisait assassiner les auteurs pour mieux s'attribuer leur travail ; elle avait ainsi un certain nombre de doctorats.
Eh bien Dieu n'est pas comme cela. Il Se laisse piller Ses dons sans rien dire, mendiant auprès de nous d'être un jour reconnu comme le Donateur. L'amour fait oublier qu'il se donne, au point d'être ignoré.
– Prenons ensuite l'exemple de l'éducateur. C'est la joie de l'éducateur que l'élève dépasse le maître. Cependant, nous connaissons tous des professeurs-à-vie qui ne se départissent jamais d'une attitude enseignante, et donc valorisante … même quand l'ancien élève n'a plus l'âge de l'être depuis belle lurette. Et l'on reste éternellement des débiteurs, sous le poids qu'ils font éternellement peser sur nous.
Eh bien Dieu n'est pas comme cela. L'amour fait oublier qu'il se donne, au point de ne pas peser par Ses dons. Le Père Varillon écrit : « Dieu est humble dans le sens où le véritable amour ne surplombe pas l'être aimé et ne le domine d'aucune manière ».

Et nous pourrions continuer … mais penchons-nous sur la seconde partie de la citation : « au point de se recevoir de celui à qui il s'est donné ».
Quand – enfin – nous revenons vers Dieu, pas de reproche, pas de rancœur, pas de petite phrase assassine du genre « ah quand même ! ». Notre retour de prodigue fait la joie immense de Dieu. « L'amour fait oublier qu'il se donne au point de se recevoir de celui à qui il s'est donné ». C'est l'amour dans son cristal le plus pur, l'amour en pure perte, en pur don. Un amour qui ne se perd pas en se donnant mais qui se multiplie, comme la flamme du cierge Pascal aux premières heures de Pâques.

Dieu en Lui-même est ainsi, Père, Fils et Saint Esprit. En Dieu même, « l'amour fait oublier qu'il se donne au point de se recevoir de celui à qui il s'est donné ». Et cela fait la Joie éternelle en Dieu, la Joie éternelle de Dieu ; peut-être même : cela fait Dieu, peut-être même : cela est Dieu car Dieu est amour.
Nous participons à ce mouvement, à cette joie, avec plus ou moins de pesanteur ; et ce mouvement, cette Joie nous sont offertes, toujours. Rejoignons au plus profond de nous cet Amour qui est y présent, comme une source qui ne tarit jamais. Laissons-nous baigner et laver par l'éternelle nouveauté de cet Amour qui est Dieu. Et peu à peu – avec de lentes progressions et quelques régressions – notre amour sera plus gratuit, plus large, plus beau, et fera davantage la Joie de Dieu. A la mesure sans mesure de Dieu, qui est Amour.

F. Jean-Jacques