Pentecôte (C) Jn 14, 15-16.23b-26

Frères et sœurs, avez-vous déjà vécu cette expérience troublante ? Vous rentrez chez vous après une longue absence : une semaine de vacances, un séjour improvisé chez mamie, ou simplement quelques jours de retraite spirituelle. Vous ouvrez la porte, et, avant même de déposer vos clés, vous sentez que quelque chose a changé ? L'air est différent, l'atmosphère n'est plus la même, il y a comme une présence nouvelle... Et pendant quelques secondes, votre esprit s'emballe : un cambrioleur ? Vous avancez à pas feutrés, un peu comme un enquêteur sur une scène de crime, et puis, soudain, vous réalisez : ouf, ce n'est pas un cambrioleur ; c'est votre ado qui a rangé sa chambre, ou votre conjoint qui a composé un bouquet de fleurs et l'a déposé dans le salon.  Un petit détail, un parfum, une trace… et voilà que vous ressentez une présence autre, inattendue, bouleversante. C'est exactement ce que vivent les apôtres le jour de la Pentecôte.

Ils sont réunis dans une maison, incertains de leur avenir, un peu repliés sur eux-mêmes, sans doute animés par la peur d'être persécutés après la mort de Jésus. Et tout à coup, l'ambiance bascule. Non pas parce qu'ils ont fait le ménage ou apporté des fleurs, mais parce qu'un autre a pris place au cœur du lieu. Quelqu'un s'est invité là avec puissance : c'est l'Esprit Saint. Et alors, les cœurs s'ouvrent, les langues se délient. Les disciples parlent en d'autres langues et ils sont capables de rejoindre d'autres personnes dans leur manière de penser, de sentir, d'être, de concevoir la réalité. Là où la peur créait l'entre-soi, l'Esprit crée la rencontre. C'est le passage d'une communion repliée, à une communion expansive, vivante, relationnelle.

Dans l'évangile de S. Jean, Jésus avait promis : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole ; mon Père l'aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » Voilà bien le projet le plus audacieux de l'histoire de l'immobilier ! Dieu ne se contente pas de nous rendre visite éclair le dimanche matin. Non. Il s'installe, il emménage, il fait de notre cœur, de toute notre personne, son domicile principal, son temple. C'est une colocation divine !

Mais, soyons honnêtes : ce n'est pas toujours confortable. Quand l'Esprit vient habiter en nous, il ne se contente pas de poser une plante verte et d'accrocher un crucifix au mur. Il réaménage tout l'intérieur : il déplace les meubles de nos certitudes, il ouvre les fenêtres de notre routine, il fait le tri dans les cartons de nos vieilles rancunes. Fini le temps où nous vivions selon « la chair », comme le dit S. Paul dans la lettre aux Romains. Fini le temps de l'esclavage, de la soumission à nos pulsions, aux peurs, à nos vielles mauvaises habitudes. Désormais, nous sommes appelés à vivre « dans l'Esprit ».

S. Paul nous dit que « tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». Cette filiation divine nous donne une liberté extraordinaire : celle de ne plus avoir besoin de prouver constamment notre valeur. Les enfants de familles aimantes n'ont pas à mériter l'amour de leurs parents. Ils l'ont déjà. C'est comme cela dans la famille de Dieu. Cette liberté filiale nous permet de prendre des risques, d'oser la créativité, la générosité, le pardon. Nous pouvons même nous permettre d'échouer, car notre valeur ne dépend pas de nos performances. C'est exactement ce qui se passe avec les apôtres : hier encore paralysés par la peur, les voilà qui sortent dans la rue et parlent avec une assurance stupéfiante.

Frères et sœurs, la Pentecôte n'est pas juste un événement du passé qu'on commémore. C'est une invitation permanente. Chaque jour, l'Esprit frappe à la porte de notre cœur et demande : « Puis-je entrer ? Puis-je transformer cette peur en confiance ? Cette colère en force constructive ? Cette tristesse en compassion ? Cette rancune en pardon ? » Mais attention, Dieu est un locataire très respectueux. Il n'entre jamais par effraction. Il attend notre « oui ». Et parfois, nous hésitons, car nous avons peur de ce que cette présence va changer en nous. Pourtant, faire de la place à l'Esprit, c'est découvrir que nous devenons enfin nous-mêmes. Non pas le personnage que nous jouons pour être acceptés, mais la personne unique et irremplaçable que Dieu a rêvée depuis toujours.

Alors, en cette fête de la Pentecôte, osons dire « oui » à cette colocation divine. Laissons l'Esprit s'installer, réaménager, décorer à sa façon notre maison intérieure. Et n'ayons pas peur : quand Dieu emménage chez nous, il ne nous chasse pas. Au contraire, il nous révèle que nous sommes chez nous comme jamais auparavant.

Que l'Esprit Saint fasse de nos cœurs sa demeure, et de nos vies un miroir de sa joie et de son amour. Amen.

fr. Maximilien