Saint Sacrement (C) Lc 9, 11b-17

Frères et sœurs, la fête du Corps et du Sang du Christ que nous célébrons aujourd'hui est pour nous très importante. En effet, elle honore un sacrement dont nous disons qu'il est le sacrement des sacrements, le Saint-Sacrement, celui auquel conduisent tous les autres, celui qui soude l'Église, lui donne son unité en faisant d'elle le Corps du Christ. Le sacrement le plus précieux parce qu'il est celui de l'unité en même temps que celui de l'amour.

Cette année, la liturgie nous donne à lire le récit de la multiplication des pains selon saint Luc. Ce miracle de Jésus est rapporté par les quatre évangélistes, sans parler des deux autres récits de saint Matthieu et de saint Marc d'une seconde multiplication des pains.
En nourrissant une foule très importante d'un pain «multiplié», quelques jours avant la Pâque, le Christ annonce une autre Pâque, une autre faim comblée.
Son geste a donc, tout d'abord, une portée messianique. A ses apôtres, à cette foule qui l'a suivi, Jésus veut faire comprendre que le temps de la visite de Dieu parmi les hommes est arrivé. Les prophètes, le psalmiste, les auteurs des livres de Sagesse avaient prédit que ce temps serait placé sous le signe de l'abondance et de la gratuité des dons divins.
Or, saint Luc est toujours sensible à l'aspect ecclésial des signes donnés par Jésus. Comme chez saint Matthieu, ce sont les disciples qui prennent conscience de la situation. «Les Douze s'approchèrent et dirent à Jésus : 'Renvoie cette foule : ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d'y loger et de trouver des vivres.» Mais Jésus réplique : «Donnez-leur vous-mêmes à manger.»

Les disciples ne peuvent que constater combien ils sont démunis : il y a cinq mille hommes environ et ils ne disposent que de cinq pains et deux poissons. Humainement, il n'y a pas de solution possible.
Frères et sœurs, la leçon reste terriblement vraie : l'Église ne se trouve-t-elle pas souvent confrontée à des problèmes apparemment insolubles sans la foi ?

Jésus leur demande alors de faire asseoir la foule par groupe de cinquante environ. Allusion au livre de l'Exode où Moïse rassemble les tribus d'Israël pour en faire un peuple et leur donner des chefs par groupe de mille, de cent, de cinquante et de dix. Jésus, de même, fait d'une foule diverse et multiple, une communauté rassemblée autour de Lui, qu'il va nourrir d'un même pain. La signification ecclésiale est on ne peut plus transparente.

Le partage et la multiplication des pains sur la colline de Galilée préfigurent donc le partage et la présence multipliée du Corps du Christ, non plus seulement pour quelques milliers de personnes mais pour des millions, à tout instant et dans tout l'univers jusqu'à la fin des temps.
Mais quel est-il donc, frères et sœurs, ce Corps du Christ que nous recevons ainsi en nourriture ? La chair de Jésus de Nazareth issu de la Vierge Marie ? Son corps meurtri sur la croix ? Le Christ ressuscité et glorifié dans le ciel ? ou encore le «corps mystique» dont le Christ est la tête et nous les membres, et dont la cohésion, à la fois visible et mystérieuse, s'appelle l'Église ?

En vérité, ces aspects multiples du Corps de Jésus-Christ ne s'excluent pas à mesure qu'ils se succèdent dans le déroulement de son histoire. Ils constituent simplement les étapes, les paliers d'une croissance de la personne du Seigneur, depuis sa conception jusqu'à son épanouissement dans la gloire du Père, depuis l'enfant de la Vierge jusqu'à la stature cosmique du Fils de Dieu. Et cette croissance du Corps de Jésus-Christ est à la fois le signe, la source et déjà l'expression anticipée du développement de l'humanité sauvée vers son achèvement glorieux.
Alors, frères et sœurs, quand nous communions au Corps et au Sang de Jésus-Christ, ce n'est jamais uniquement au «petit Jésus» de Nazareth, au crucifié ou à son corps glorieux ou mystique que nous nous unissons, mais à ce mouvement même de croissance, à cet élan vital du Christ, qui nous associe tous, nous fait monter avec Lui, à sa suite, de proche en proche, jusqu'à l'unité parfaite de son corps qui est l'Église des bienheureux.

La liturgie, la piété populaire et l'iconographie ont d'ailleurs fixé en des figures suggestives les étapes de cet épanouissement du Corps de Notre Seigneur, afin de nous y associer à la mesure de notre propre croissance et des degrés de notre montée spirituelle. Parmi toutes ces expressions ou images destinées à évoquer les étapes de la croissance du Corps du Christ, il en reste une dernière : le pain et le vin, qui, bien plus que des images, sont les signes de la présence réelle du Christ total, incarné et glorieux, crucifié et ressuscité, pauvre et victorieux, fraternel et tout-puissant, intime et cosmique.
Aussi, communier au Corps et au Sang du Christ, cela signifie, pour chacun d'entre nous, se laisser marquer des stigmates de cette chair meurtrie par notre péché et pour notre pardon. Communier au Corps du Christ, c'est, pour le peuple de Dieu rassemblé autour de la même table, recevoir avec le pain qui nourrit le gage de son unité profonde pour ne plus faire avec Jésus-Christ qu'un seul et même corps, c'est-à-dire une seule Église. Communier, c'est enfin évoquer, préparer et anticiper, dès ici-bas, le grand festin des noces éternelles où tous ensemble, et pour toujours, nous vivrons l'universelle fraternité dans la joie de Dieu.

Cependant, frères et sœurs, il est important de rappeler qu'avant de se laisser rassasier par le Pain de Vie, il faut se laisser interpeller par la Parole de Dieu qui est, elle aussi, un pain et qui est même la première nourriture de la Foi. L'Eucharistie est à la fois un repas de Parole et un repas de Pain, la Parole et le Pain se vivifiant réciproquement. Par parole, il faut entendre non pas seulement celle que Dieu nous livre dans la Bible, mais encore la parole que Dieu nous révèle à travers les évènements de notre vie personnelle et de la vie du monde, nos épreuves, nos difficultés, nos souffrances, nos luttes pour la justice et la charité. Tout cela prépare, prolonge et vivifie notre eucharistie qui ne doit pas être un alibi, une évasion ou une consolation mais, si nous croyons à la présence réelle, un sacrement qui nous permet d'affronter la réalité de la vie, avec un courage vraiment évangélique.

Toutefois, frères et sœurs, si précieuse que soit l'Eucharistie, elle n'est, il faut bien le dire, qu'un moyen. Le but, c'est avant tout l'Alliance, c'est l'union, c'est la communion de notre amour avec l'amour de Dieu, avec ce feu que Jésus est venu apporter sur la terre, qui ne peut être éteint que par le péché, mais qui est prêt à embraser tous ceux et celles qui ont la disposition essentielle pour brûler de l'Amour de Dieu : le désir, la faim, la liberté et la pauvreté du cœur.

Amen !

F. Benoît-Marie