Sacré-Cœur de Jésus (C) Lc 15, 3-7

Frères et sœurs, et si nous étions ces 99 brebis qui se portent bien, qui ne se sont pas perdues ? Que ressentons-nous quand notre Pasteur nous laisse au désert et va chercher la brebis qui s'est égarée ? Est-ce que nous nous réjouissons pour elle ? Est-ce que nous nous sentons toujours aimés ? Avons-nous confiance en notre guide, en Dieu ? Ou pensons-nous qu'il faut être perdu, blessé, malade, victime pour que Dieu nous cherche et nous aime ? Et une fois retrouvée, comment accueillerons-nous cette brebis perdue et retrouvée parmi nous ? Quelles réponses nous donnent les lectures d'aujourd'hui ?

Elles nous disent tout d'abord que l'amour de Dieu a un réel penchant vers la fragilité, vers ce qui est faible en nous, vers nos failles. Le prophète Ézéchiel nous dit que le Seigneur s'occupe de ses brebis en difficulté : « La brebis perdue, je la chercherai ; l'égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. » De son côté, S. Paul ajoute : « Alors que nous n'étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. » Et Jésus de dire : « C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour 99 justes qui n'ont pas besoin de conversion. »

Mais attention, cela ne veut pas dire que Dieu n'aime que les blessés, les perdus, qui se convertissent. Il ne dit pas : « Sois une victime, et je t'aimerai. » Ézéchiel fait dire au Seigneur à propos des brebis : « Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître selon le droit. » La faiblesse n'est donc pas une condition pour être aimé par Dieu. Elle est une des portes d'entrée de son amour, parce qu'il semble que c'est là où nous consentons le mieux à être rencontrés et aimés. C'est pourquoi, S. Paul exprime sa fierté pour ses faiblesses (2Co 12).

Dans sa parabole, Jésus dit clairement que le Berger quitte 99 brebis pour chercher celle qui s'est perdue. Si nous sommes ces 99 brebis, en quoi Jésus est-il le Bon Pasteur pour nous, s'il nous laisse au désert ? Justement, le désert ! Dans la Bible, le désert est un lieu privilégié de la présence de Dieu : c'est là où Moïse a rencontré le Seigneur dans le buisson ardent, c'est là où le peuple élu a reçu la Loi, a été nourri de manne et des cailles, c'est là où il a retrouvé sa liberté, c'est là où la femme de l'Apocalypse trouve un refuge contre le dragon, contre le mal. C'est là aussi que les premiers moines cherchaient Dieu. D'ailleurs, c'est toujours le cas, car même si le monastère ne se trouve pas dans un désert géographique, il reste le lieu où on cherche Dieu, sa Présence qui nous transforme.

Le fait que le Pasteur quitte les 99 brebis pour chercher celle qui s'est perdue, paradoxalement, les sécurise. Il les sécurise par le fait qu'elles découvrent la nature, la façon d'être, d'aimer de leur Berger. Tant qu'une brebis ne s'est pas perdue, elles pourraient croire que le berger est là pour leur confort quotidien. Quand il part chercher la disparue, elles comprennent qu'il est avant tout un sauveur. La confiance des brebis grandit.

Quand le Berger revient avec la brebis retrouvée, il invite toutes les autres à se réjouir. Cela peut demander un dépassement intérieur, une conversion de celles qui ne se sont pas égarées : ce ne sont pas ma fidélité, mes mérites qui comptent, mais ma participation à la joie du Seigneur, ma capacité à ouvrir l'enclos, mon cœur, à celui qui revient et qui a péché. Il s'agit donc d'entrer dans une dynamique d'accueil, d'élargissement, d'ouverture à l'autre, de devenir co-pasteur avec le Christ, d'entrer dans son élan, ne pas avoir peur de l'humanité, même blessée, même sale.

Et cela peut demander un effort de cœur. Car il y a toujours cette tentation, très humaine, de dire : « J'ai fait ce qu'il fallait. Pourquoi devrais-je changer parce que quelqu'un s'est perdu ? » La règle de saint Benoît, au chapitre 72, invite les frères à se devancer en honneur, à supporter patiemment les faiblesses physiques et morales les uns des autres, et surtout, à chercher le bien de l'autre avant le sien. Ce n'est pas un simple code moral : c'est une forme d'imitation du Berger, une école d'élargissement du cœur.

Que le Seigneur nous donne cette capacité à ne pas garder jalousement pour nous le salut. Qu'il nous donne la capacité de devenir ses compagnons de miséricorde, qu'il rende nos cœurs semblables à son Cœur.

f. Maximilien