Jésus Christ Roi de l'Univers (C) Lc 23, 35-43

«On venait de crucifier Jésus, et le peuple restait là à observer». Frères et sœurs, ne restons-nous pas bien souvent comme cette foule, à observer passivement le monde, et tous ses crucifiés ? Sans verser, bien sûr, dans la culpabilité, ne nous arrive-t-il pas de regarder à distance certains événements tragiques et injustes de notre société ?
Nous nous mettons alors à l'écart, un peu résignés. Face à la surcharge d'images et d'informations, toujours plus importante, nous devenons de plus en plus insensibles. Ne sommes-nous pas comme le peuple près de la croix : complice, passif ou simplement désemparé, à observer le tragique de l'existence se dérouler sous nos yeux ?

Dans toutes ces situations, où le sens semble définitivement absent, deux réactions peuvent nous traverser, à l'image de celles des chefs, des soldats, et des malfaiteurs de l'Évangile. Il y a d'abord la réaction du désarroi, du sauve-qui-peut, celle qui propose une impossible fuite en avant : «Sauve-toi toi-même !»
«Si tu es Fils de Dieu, d'ici jette-toi en bas et les anges te porteront»
disait le tentateur au début de l'Évangile selon saint Luc. «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même !» lancent similairement ceux qui tournent Jésus en dérision au pied de la croix. «Se sauver soi-même !» par ses propres forces, prendre la fuite sans se laisser accompagner : frères et sœurs, voilà bien un penchant qui, pour différentes raisons, peut nous traverser.

D'ailleurs, fuir certaines difficultés de l'existence et «se sauver soi-même», n'est-ce pas le mirage de notre monde occidental, avec son idéal d'accomplissement personnel, qui peine à créer du commun et du collectif ? Qui ne voit bien souvent l'avenir qu'en termes individuels ? Nous l'avons compris : vouloir se sauver, le mot le dit bien, revient en définitive à fuir notre monde tel qu'il est.
Cependant, dans toutes nos situations d'épreuve, il est une deuxième manière d'envisager notre existence. Celle-ci nous invite à la lucidité et à la vérité sur nous-mêmes, comme le deuxième larron, et au courage dans l'adversité. Elle nous invite finalement à transformer notre détresse en prière, cette manière d'envisager toujours de l'avenir. «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume.»
Il ne s'agit plus de se mentir ou de fuir en avant. Mais d'observer notre monde, nos histoires avec les yeux de Dieu, et d'y voir ce qui peut encore naître, dans ce royaume à venir, à recréer.

Frères et sœurs, pour envisager la vie de cette manière, il ne s'agit pas de chercher avant tout son propre salut personnel, son accomplissement, son propre bien-être et bonheur... Il s'agit d'être sauvé de l'obsession de son propre salut !
Le bon larron ne dit pas «Sauve-moi». C'est au contraire la voix du courage qui commence par penser un avenir commun, aussi mince soit-il : «Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume.»
Voilà l'unique fois dans l'Évangile selon saint Luc où le Christ est simplement appelé Jésus, sans aucun autre titre. Et c'est à ce moment-là que, précisément, le fils du charpentier de Nazareth, Jésus, se révèle comme Christ, c'est-à-dire vrai sauveur de l'humanité ! Dans cette rencontre au cœur de la détresse, un horizon s'ouvre à celui qui n'en voyait plus dans sa vie.

Frères et sœurs, quelles que soient nos épreuves, l'Évangile ne nous invitera jamais à changer de vie, mais à l'envisager autrement, en acceptant que le salut, risquons encore d'utiliser ce terme si mal compris, en acceptant que le salut passe désormais par nos mains, par nos paroles courageuses, notre prière confiante. Il s'agit de croire que nos histoires sont inscrites dans la mémoire et l'éternité de Dieu, qui voit dans chacune d'elles une promesse, un avenir toujours possible.
Cependant, c'est à nous d'offrir, de porter un tel regard sur les autres. Pas à attendre le salut d'en-haut, mais à l'offrir dès maintenant, ici-bas. Il convient à chacun et à chacune de nous d'œuvrer au salut de notre monde, par de simples gestes de solidarité, des rapports en vérité, des paroles qui prennent soin et qui libèrent. Offrir un salut à notre monde, c'est d'abord se mettre à son écoute, et entendre ceux et celles qui crient : «Souvenez-vous de nous.»

Oui, le salut de notre monde passe désormais par nous. Le Seigneur Dieu a besoin de nous pour agir, pour porter sa parole et se faire entendre en ce monde. Le messie crucifié, ce roi qui règne mais ne gouverne pas, le messie crucifié nous laisse ainsi libres de le suivre ou non, de le faire régner sur nos vies ou non. Car le vrai pouvoir se donne, il ne se prend jamais.

Alors, frères et sœurs, ne restons pas observateurs de nos vies... Posons-nous aujourd'hui cette question aussi simple que cruciale : à qui voulons-nous donner du pouvoir et offrir notre confiance ? Est-ce aux promesses de notre temps, qui nous disent «Sauve-toi» ? Ou est-ce à tous ceux et celles qui n'en ont pas ? À tous les crucifiés de notre monde, qui par leurs vies disent «Souvenez-vous de nous» ?

C'est à chacun de nous d'y répondre. Et là où il est, de trouver les ressources pour agir en ce monde et faire régner ce royaume de Dieu, dans lequel personne n'est oublié.
À travers nos misères, voire nos trahisons, le Christ nous entraîne sur la voie royale du service de Dieu et de nos frères et sœurs. Au fond, est-ce si difficile de lui reconnaître ce titre de Roi, ce titre de Seigneur que la fête de ce jour lui attribue ?

Frères et sœurs, reprenons simplement la prière du pauvre Bon Larron de l'évangile de ce jour : «Jésus, souviens toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume.» Et chacun de nous, à l'heure fixée par le Père des cieux, pourra alors entendre la réponse majestueuse : «Aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis».
Il suffit de se reconnaître larron soi-même ! Oui, larron pénitent, vous et moi...
Amen.

F. Benoît-Marie