Ascension (C) Lc 24, 46-53

Frères et sœurs, imaginez un père qui apprend à son enfant à faire du vélo. D'abord, il tient fermement la selle. Il court à côté, il rassure : « Vas-y, je suis là, je te tiens. » Et puis, à un moment… il lâche. L'enfant ne s'en rend pas compte tout de suite. Il continue de pédaler… et ça y est, il roule tout seul ! Le père l'a lâché, non pas pour l'abandonner, mais pour qu'il apprenne qu'il peut avancer par lui-même. Eh bien, l'Ascension, c'est un peu cela : en quelque sorte, Jésus lâche la selle et laisse les apôtres pédaler par eux-mêmes. Mais il ne les abandonne pas, il reste avec eux, différemment.

Nous sommes quarante jours après Pâques. Le nombre « quarante » dans la Bible signifie toujours une préparation à quelque chose : quarante ans les Juifs ont erré dans le désert, quarante jours Élie a marché vers la montagne d'Horeb, pendant quarante jours Jésus s'est préparé dans le désert à sa mission publique. Il fallait aussi quarante jours pour que les apôtres digèrent l'info complètement folle : « Jésus est vivant ! Le Christ est vraiment ressuscité ! »

Et maintenant, après ce temps de rééducation spirituelle intensive, Jésus s'en va. Ou plutôt : il s'élève. Une nuée l'enveloppe. Souvent dans la Bible, un événement important est accompagné de l'apparition d'une colonne de nuée, représentant la gloire de Dieu. C'était le cas au désert, pendant la marche des Israélites et aussi, au moment du baptême de Jésus, sur le Mont de Thabor lors de sa Transfiguration et aussi maintenant, quand il monte dans le ciel.

Si le Christ part, ce n'est pas pour abandonner ses disciples, pour livrer ses brebis aux loups. Non. C'est parce qu'il leur fait confiance. Il sait qu'ils sont prêts. Les disciples passent d'une certaine dépendance à l'autonomie. On peut dire que Jésus leur délègue sa mission. Il le fait, car il croit à leurs capacités. Comme ce père, il lâche la selle du vélo.

Mais, ce n'est pas évident pour les apôtres. Après le départ de Jésus, ils se retrouvent là, un peu bêtes, à regarder le ciel. Peut-être qu'ils se demandent : « Il va redescendre ? Peut-être qu'il a oublié ses sandales ? »
Ils ont besoin d'un coup de pouce : deux anges leur disent gentiment de partir, de bouger, de ne pas rester plantés là. Il n'est jamais facile de se retrouver seul, de perdre quelqu'un ou quelque chose. Quand disparaît une personne que nous avons aimée, quand nous devons quitter un travail ou un lieu où nous nous sommes épanouis, quand on doit passer à une autre réalité, c'est le temps du deuil, un temps où se creuse en nous un espace intérieur, un espace où germe une nouvelle réalité. Jésus part en laissant la place à un Autre, au Souffle, à l'Esprit Saint. Il dit à ses apôtres : « Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus d'une puissance venue d'en haut. » (Lc) ; et encore : « vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous » (Ac).

L'Ascension, c'est une fin, une fin d'époque pour les apôtres. Ils ne verront plus Jésus comme avant. Mais c'est aussi un commencement. Dix jours plus tard, ce sera la Pentecôte.  C'est comme dans nos vies : il faut parfois accepter que certaines choses se terminent : une relation, un travail, une phase de vie. Ce n'est pas facile. Mais chaque fin peut cacher un nouveau début, une nouvelle manière d'aimer, de croire, de vivre, de grandir, de s'épanouir.

L'Ascension du Christ clôture une époque, mais elle ouvre aussi de nouvelles perspectives. En effet, en montant, Jésus emporte au ciel notre humanité. Il ne monte pas « en esprit ». Il monte avec son corps, avec ses cicatrices, avec tout ce qu'il a vécu. Cela veut dire que notre humanité a de la valeur. Elle peut être glorifiée. Cela veut dire aussi que ce que nous sommes - notre corps, nos blessures, nos rêves, notre histoire, nos désirs, etc. - tout cela est appelé à s'élever, à être transfiguré, à révéler sa beauté, à partager la vie de Dieu. Rien d'humain n'est exclu de cette glorification.

Frères et sœurs, l'Ascension n'est pas un anniversaire de départ ; c'est la fête de la confiance divine. Dieu croit en nous plus que nous ne croyons en Lui. C'est à nous que le Christ confie la suite, en nous donnant son Esprit. Alors… à nous de pédaler !

fr. Maximilien