27° Dimanche du TO (C) Lc 17, 5-10
Les Apôtres demandent à Jésus : « Augmente en nous la foi ! » Mais qu'est-ce que la foi ? Que signifie avoir la foi ? Nous sommes dans l'Évangile de Luc et, pour répondre à cette double question, il faut interroger cet Évangile.
Chez saint Luc, avoir la foi ne signifie pas d'abord « croire en des dogmes ou aux vérités de la foi », mais croire que rien, ni personne, aucune situation, pas même celle du péché, ne peut me séparer de Jésus et de son Amour. Voilà le cœur de la foi pour saint Luc !
Lorsque Pierre proclame qu'il est le Messie, Jésus lui demande de se taire, la foi au Christ, c'est d'abord la confiance au Christ ! Tout le reste en découle, mais si l'on place le discours avant l'expérience, on passe à côté de l'essentiel…
Dans l'Évangile de Luc, lorsque Jésus s'adresse à ses interlocuteurs et reconnait en eux la foi véritable, la foi qui sauve, c'est parce que ces hommes ou ces femmes se sont crus aimés de Lui, alors qu'en soit ils n'étaient pas aimables (en raison de leur conduite morale ou de leur origine). Le croyant est celui qui fait violence aux situations humaines d'exclusion pour s'approcher de Jésus, il est sûr de son amour.
Parcourons rapidement l'Évangile de Luc : alors que Jésus enseigne dans une maison pleine de pharisiens et de docteurs de la Loi, personne ne peut entrer tant ils sont nombreux. Des jeunes gens veulent pourtant conduire leur ami paralysé aux pieds de Jésus, persuadés qu'il peut quelque chose pour eux ; ne pouvant pas entrer par la porte ou par la fenêtre, ils sont obligés de crever le toit de la maison pour le descendre à ses pieds ! Cette audace et cette confiance de ces hommes qui n'ont pas ouverts la bouche pour dire « Tu es le Messie » ou « Tu es le Seigneur », Jésus l'appelle « la foi » (5, 20) : « Voyant leur foi, il dit : "Tes péchés te sont pardonnés" » ; la foi ici, c'est d'abord une attitude d'immense confiance en Jésus.
On retrouve la même conception en Luc 7, 9 avec un païen, un Centurion romain qui a confiance que Jésus peut guérir son serviteur malade (jamais je n'ai vu une telle foi en Israël dira Jésus), en Luc 7, 50 avec une prostituée qui a cru ce que les gens disaient de lui – « il est l'ami des publicains et des pécheurs » (Lc 7, 34) – et qui n'hésite pas à s'introduire chez un pharisien, venant en quelque sorte le dérober à la table des justes, pour qu'il reste de son côté, du côté des pécheurs que nous sommes : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvée », dira alors Jésus à cette femme qui n'a même pas ouvert la bouche… Sa foi a consisté à croire davantage en l'amitié de Jésus pour les pécheurs qu'à son péché et à l'exclusion qui en découle.
Dans le même sens de la foi, entendue comme confiance en l'Amour du Christ, nous avons aussi l'hémorroïsse qui touche Jésus alors qu'elle se sait impure « Ta foi t'a sauvée, va en paix », le lépreux samaritain qui revient seul vers Jésus : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvée » lui dit Jésus, ou encore l'aveugle de Jéricho qui crie sa confiance alors que tout le monde veut le faire taire : « Retrouve ta vue, ta foi t'a sauvée » lui dit Jésus, etc...
Frères et sœurs, toute la vie chrétienne, tous son rayonnement découle de cette expérience qui est en quelque sorte la matrice de la mission de l'Église.
« Augmente en nous la foi ! » (Lc 17,5) demandent aujourd'hui les Apôtres. Or, juste avant notre passage, juste avant la demande des Apôtres d'augmenter en eux la foi, Jésus a invité à pardonner sept fois par jour à son frère : « Si ton frère vient à t'offenser, reprends-le ; et s'il se repent, pardonne-lui. Et si sept fois le jour il t'offense et que sept fois il revienne à toi en disant : Je me repens, tu lui pardonneras (…) » et celui qui se refuse à pardonner entraîne le scandale des petits : « Malheureux celui par qui la chute arrive. Mieux vaut pour lui qu'on lui attache au cou une meule de moulin et qu'on le jette à la mer et qu'il ne fasse pas tomber un seul de ces petits. Tenez-vous sur vos gardes. » Le scandale ici, c'est le non-pardon, c'est le refus de montrer un visage de Dieu qui pardonne.
En demandant à Jésus d'augmenter leur foi, les Apôtres réclament de lui, d'accroître en eux, l'expérience et la conviction solide que Dieu pardonne pour que nous puissions pardonner à notre tour !
Jésus répond alors à leur demande : « Si vraiment vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : Déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous obéirait » (Lc 17, 1-6).
Seul celui qui a la foi, c'est-à-dire celui qui sait par expérience que rien ni personne ne peut le séparer de l'amour du Christ, seul celui qui a fait l'expérience d'être aimé et pardonné par le Christ, seul celui-là qui se sait aimé tel qu'il est, avec son histoire et sa fragilité, est capable de pardonner sept fois par jour à son frère !
Comment pourrait-il reprocher à son frère d'avoir une paille dans son œil alors que le Christ a enlevé une poutre dans son œil à lui ? En pardonnant à son frère, il n'a alors aucun mérite… C'est tellement naturel d'aimer les autres lorsque le Christ nous a aimés le premier ! C'est bien ce qu'il nous dit lui-même : « Nous sommes de simples serviteurs, nous n'avons fait que notre devoir », littéralement : « nous sommes des serviteurs non indispensables, ce que nous devions faire, nous l'avons fait », un serviteur qui a une foi pas plus grosse qu'une graine de moutarde est capable de déraciner les arbres les plus grands ! Cela ne peut vraiment pas venir de moi, cela ne peut venir que du Christ !
Lorsque l'homme qui a la foi en Christ, verra son frère qui semblait incurable, transformé par le pardon qu'il a reçu, par la patience dans ce pardon sans cesse renouvelé, il saura qu'il n'y est absolument pour rien, il saura seulement que le Christ s'est servi de lui pour réaliser chez son frère la même merveille que pour lui.
Demandons au Christ d'accroître en nous la foi, la certitude de se savoir aimé par Lui. C'est la condition de notre bonheur et du bonheur de tous ceux avec lesquels nous vivons.
Amen.
F. Jean-Luc