28° Dimanche du TO (C) Lc 17, 11-19
Frères et sœurs, de nos jours, la lèpre a presque entièrement disparu de la planète, hormis quelques contrées en Afrique encore touchées malheureusement par ce fléau. Il nous est difficile de nous représenter cette terrible maladie de peau, qui mettait autrefois ceux qui en souffraient à distance de toute la société ; les lépreux étaient exclus, isolés et marginalisés, car on ne pouvait pas vraiment les soigner ni les guérir. Si cela nous est difficile à imaginer aujourd'hui, rappelons-nous ce que nous avons vécu pendant l'épidémie de Covid-19, où il fallait rester en quarantaine, pour éviter de contaminer les autres.
Pour un lépreux de l'époque de Jésus, le confinement strict durait toute la vie. Il devait mendier sa nourriture, en restant à l'écart. Toute relation sociale lui était interdite, exceptée celle qu'il avait avec ses compagnons de maladie. La loi de Moïse prescrivait aux lépreux de vivre en dehors de la ville, loin de leur famille, dans des conditions précaires, du fait qu'ils ne pouvaient pas travailler et avoir une vie normale. Dans la culture juive de l'époque, la lèpre était considérée non seulement comme une maladie physique, mais aussi comme une impureté rituelle. Les lépreux ne pouvaient donc même pas pratiquer leur religion, et s'associer aux rassemblements communautaires. Leur vie spirituelle aussi était touchée. En plus de cela, la lèpre était perçue comme un châtiment venant de Dieu, une punition divine qui frappait les personnes à cause de leurs péchés et de leurs fautes. Du coup, les lépreux étaient doublement exclus de la religion, et doublement victimes. S'ils souffraient, c'était de leur faute, et ils ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-mêmes. Pourtant, tout espoir de guérison n'était pas perdu. Il existait des rituels adaptés pour traiter les maladies. Mais la guérison n'était pas seulement une question de santé physique. Elle impliquait aussi la réintégration dans la communauté, et le retour à la pratique religieuse.
De tous temps, des croyants éprouvés par la souffrance se sont demandé ce qu'ils avaient « fait au bon Dieu pour mériter cela ». Un terrible poids de culpabilité et de honte les rongeait. « Si j'ai telle maladie ou qu'il m'arrive tel problème, c'est forcément de ma faute... ». Si l'on songe à la lèpre, qui est le symbole même du péché selon les Pères de l'Église, on peut transposer en se disant que le péché est comme une plaie qui nous colle à la peau, quelque chose qui s'attache à nous et dont on ne parvient pas à se libérer. Cette lèpre spirituelle nous brûle et nous irrite en permanence. « Ma faute est toujours devant moi », dit le roi David dans le psaume 50.
C'est pour cela que les dix lépreux de l'évangile crient vers Jésus pour qu'il les guérisse. Et celui-ci les renvoie aux prêtres, selon la coutume rituelle. Finalement, c'est sur la route, en chemin, qu'ils sont purifiés. Leur foi dans le Christ a suffi pour les guérir. Il n'y a pas eu besoin de recourir aux pratiques établies par Moïse. Jésus nous libère en nous délivrant de nos péchés, et cela se fait par pure miséricorde, au-delà des bonnes pratiques, des œuvres pieuses et prières compliquées que nous pouvons faire pour être guéris. On se rend compte que le Christ distingue bien d'un côté la guérison physique, et de l'autre le salut et la rémission des péchés. Quand il observe que seul le Samaritain revient pour le remercier et rendre grâce à Dieu, Jésus s'étonne de ne pas voir les autres, et il lui dit : « Ta foi t'a sauvé ». Cela signifie que le salut, le pardon des fautes, la réintégration spirituelle est une chose bien plus grande que la simple guérison physique. Le Samaritain, lui qui était doublement exclu – à la fois par sa tradition considérée comme hérétique par les Juifs, et par sa lèpre – a finalement mieux compris que les autres ce que signifiait le salut, qui s'obtient par la foi, mais aussi par la gratitude que l'on manifeste devant les merveilles accomplies par Dieu.
Dans le livre de Rois, on voit aussi Naaman, un général syrien, être purifié de sa lèpre. Le passage qui a été mis entre parenthèses dans la liturgie est celui où Naaman – avant d'être guéri – se révolte quand Élisée lui prescrit de se baigner sept fois dans le Jourdain. Cela lui semble trop facile, trop simple. Il prend le prophète pour un charlatan. Finalement, il le fait malgré tout, et il est bien purifié de sa lèpre. Pour nous aussi, c'est un enseignement. La foi nous paraît souvent trop simple. Il suffirait de faire confiance à Dieu pour être sauvé de nos péchés, ce n'est pas sérieux ! Pourtant, la foi est bien plus puissante que tous les rituels et autres prières élaborées. La gratitude – dont fait preuve aussi Naaman en retournant chez l'homme de Dieu avec toute son escorte, afin de lui offrir un présent – est une qualité qui touche le Seigneur, bien plus que les sacrifices et holocaustes.
Dans un instant, nous allons offrir à Dieu le sacrifice de louange, l'action de grâce, gratitude par excellence qu'est l'eucharistie. Ce que nous offrons, ce n'est pas quelque chose qui vient de nous, de nos efforts, de notre propre volonté. Non, ce que nous présentons, c'est l'offrande même de Jésus. « Père, je te bénis, ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux petits ». Oui, le salut par la foi s'adresse aux petits et aux pauvres que nous sommes, minés par la lèpre de nos fautes. Comme Naaman et le lépreux samaritain, étrangers et exclus de la promesse, prions le Seigneur et remercions-le de nous faire passer de l'isolement du péché à la communion des saints. Amen.
F. Columba