26° Dimanche du TO (C) Lc 16, 19-31

« S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus. »
Cette affirmation de Jésus est paradoxale, pour ne pas dire troublante, scandaleuse. Notre foi en Jésus ne repose-t-elle pas sur la résurrection, sur sa résurrection ? Eh bien non ! la résurrection n'est pas un argument pour étayer notre foi, elle est un article de foi que nous confessons chaque dimanche.

Alors, qu'est-ce qui nous conduit à croire en Jésus si ce n'est pas la résurrection ? Eh bien, c'est ce qui apparemment pourrait nous en éloigner le plus : la mort de Jésus sur la croix ! Scandale pour les juifs, folie pour les païens. Il y a 15 jours, nous avons célébré la Croix de Jésus et nous avons entendu une très belle homélie que nous pourrons aller relire sur le site de notre monastère. Mais le mystère de l'amour de Dieu sur la Croix est si grand que nous pouvons en parler à nouveau.

Oui, c'est l'amour fou de Jésus, cet amour jusqu'à l'extrême, qui a touché les apôtres en plein cœur. Avez-vous remarqué que les récits de la passion de Jésus tiennent dix fois plus de place dans les évangiles que les récits de la résurrection ? Cela signifie que l'évènement de la mort d'amour de Jésus est plus important que l'évènement de la résurrection. Ou, plus exactement, qu'il n'y a qu'un évènement : l'avènement et l'achèvement en plénitude de l'amour de Dieu dans la mort et la résurrection de Jésus. Sans la mort d'amour de Jésus, il n'y aurait pas de résurrection ! Voilà ce que le riche de la parabole n'avait pas compris. Toute sa vie consistait en festins somptueux, en une fuite éperdue devant la mort et l'ignorance du pauvre pourtant si proche de lui.

Voilà pourquoi Jésus, alors que Jacques et Jean rêvent déjà du Royaume et de la place qu'ils y envient, voilà pourquoi Jésus leur demande : « pouvez-vous boire la coupe que je boirai ? » Jésus ne cesse de nous poser la question de l'amour et il nous fait contempler l'amour pur sur la croix ! Autrefois, dans ma chambre d'enfant, comme dans celle de mes parents, il y avait un crucifix au-dessus du lit devant lequel on s'agenouillait pour la prière du soir. Contempler l'amour fou de Jésus nous pacifiait et nous purifiait, c'était déjà une petite résurrection avant de nous endormir.

Le riche aurait dû demander au père Abraham d'envoyer à ses frères une vision de Jésus crucifié, c'est-à-dire la vision de Lazare qu'il avait si longtemps refusé de voir. Seul l'amour vrai a le pouvoir et la force de changer une vie, de convertir un cœur, d'ouvrir les yeux sur les frères qui nous entourent. Avons-nous remarqué comment, jusque sur la croix, Jésus est attentif à ceux qui l'entourent pour les encourager en leur délivrant une ultime parole d'amour ? C'est alors qu'il n'a plus rien, qu'il est dépouillé de tout jusqu'à ses vêtements, que Jésus donne tout ! En cela, il est la révélation de l'amour de Dieu son Père qui n'a rien d'autre à donner que lui-même dans une parole vibrante d'amour, un amour plus fort que la mort, un amour qui ressuscite les morts.

Oui, la croix est source, sommet, plénitude d'amour et de vie. Ne cessons pas de contempler la croix et laissons-nous pénétrer par l'amour et la vie qu'elle rayonne. Alors nos yeux s'ouvriront pour voir ceux qui sont autour de nous, tous ceux qui participent de ce mystère de la souffrance d'amour. Alors nous serons peut-être un peu moins préoccupés de nous-mêmes, de notre petit ego, de nos petits plaisirs mesquins, moins envieux de divertissements ennuyeux, de richesses, de tout ce que nos écrans font miroiter à nos yeux en nous aveuglant. Peut-être la pauvreté des pauvres ne nous sera plus un spectacle émotionnel, mais le point de départ d'un engagement d'amour familial, social, professionnel, politique, tous ces charismes dont nous parle saint Paul pour la construction d'une société et d'une église où rayonne l'amour de Dieu, cet amour préférentiel pour les pauvres, cette civilisation de l'amour que désirait le saint pape Paul VI. Contempler longuement la Croix n'est pas du temps perdu mais un investissement d'amour.

F. Pierre