23° Dimanche du TO (C) Lc 14, 25-33

Frères et sœurs, quelle est la Bonne Nouvelle aujourd'hui pour nous ? À quoi nous invite Jésus ? À mieux faire nos comptes ? À mieux faire nos budgets prévisionnels ? À cet exercice périlleux qui met la politique sens dessus dessous et notre pays en péril ? Cet évangile aujourd'hui est-il pour Monsieur Bayrou, pour les députés, pour les bâtisseurs d'empire et les rois belliqueux, ou pour nous, pour moi ici présent ?

Écoutons la phrase de Jésus qui résonne deux fois dans notre évangile, avant et après les paraboles du bâtisseur imprévoyant (M. Bayrou), et du roi belliqueux (M. Mélenchon) : celui-là « ne peut pas être mon disciple » ! Un tel homme « ne peut pas être mon disciple. » Il s'agit bel et bien de deux contre-exemples.
Le projet d'être disciple ne se construit pas comme les autres projets, il ne relève pas de la bonne gestion, de la sage économie, il ne relève pas non plus de la politique ou de la stratégie. On ne devient pas disciple parce qu'on a les moyens de le devenir, parce qu'on a les moyens de ses désirs. Personne ne devient disciple par ses propres moyens…
Mais écoutons mieux la deuxième fois où Jésus dit cela: « celui qui ne renonce pas à TOUS ses biens ne peut pas être mon disciple ». Renoncer à TOUS ses biens ?! La première fois, Jésus parlait même de renoncer au bien suprême qu'est la famille, père, mère, femme, enfants… Est-ce que ce n'est pas révoltant ?

Et pourtant Jésus ici exprime quelque chose comme un fondement biblique : pensez à l'appel d'Abraham, à l'élection d'Abraham. Dieu ne dit pas à son élu 'Voilà, je t'ai choisi, tu es mon préféré et je vais te cocooner, tu vas voir les beaux cadeaux que je vais te faire !' Il lui dit: « Pars, fais tes valises, quitte ta famille, ta parenté… » Choisir, c'est toujours renoncer. Aimer une femme pour la vie, c'est renoncer à toutes les autres. Choisir le Dieu de Jésus, c'est renoncer à toutes les idoles.

Souvent, les paroles les plus contrariantes dans la Bible sont d'abord, et surtout, des obligations de choisir, des injonctions à choisir, à décider. Décider, c'est-à-dire engager sa liberté, devenir un peu plus libre en s'engageant. C'est si facile de rester sur la touche en critiquant, sans prendre de risque. Or, comme le dit un poète, « décider, c'est déjà mourir ».
L'étymologie le dit, et notre oreille aussi : dé-cider et dé-céder ont la même étymologie. Et c'est pourquoi on préfère souvent réserver sa décision pour plus tard, ne pas choisir si vite. On préfère attendre d'avoir toutes les cartes en main.

Si je ne deviens pas disciple de Jésus par mes propres moyens, si je dois renoncer à tous mes biens pour le devenir, c'est que je ne deviens disciple que par appel, par élection, comme Abraham, parce que j'ai été choisi avant même d'avoir à choisir à mon tour, j'ai été aimé avant d'avoir à aimer. Alors Celui qui nous aime et nous appelle fournira tout le nécessaire, donnera les moyens. Ces moyens qui nous sont donnés, et seulement donnés, nullement acquis, c'est l'Esprit Saint, Dieu lui-même qui se donne à nous, et qui nous configure au Christ, au Fils unique, à l'Élu par excellence, qui est aussi notre frère et notre maître, le « modèle unique ». Être disciple de Jésus, c'est devenir à mon tour l'Élu, le fils et le frère, la fille bien-aimée, la sœur universelle, et aussi l'Époux, l'Épouse, comme le Christ. Rien de moins : la promesse va jusque là.

Lorsqu'on regarde de près ce passage, qui est propre à Luc, on y retrouve la thématique d'un texte bien connu, absent de Luc mais présent chez Marc et Matthieu, le jeune homme riche. C'est-à-dire le parfait contre-exemple, celui qui compte sur ses moyens à lui, et qui court à l'échec ; comme le bâtisseur imprévoyant et le roi belliqueux.
Non! Il s'agit de tout quitter pour tout recevoir, pour recevoir le centuple, Jésus l'explicite aussitôt après à Pierre et aux Douze. Alors le renoncement qui nous est demandé n'a rien d'un renoncement ascétique, c'est très différent, c'est le renoncement à compter sur ses propres forces, à calculer indéfiniment, à faire des probabilités ou de la stratégie. Le seul péché, face à l'appel de Dieu, c'est de vouloir faire soi-même le colis, le paquet-cadeau à l'adresse de Dieu, au lieu de tendre les mains pour tout recevoir de Lui.

Frères et sœurs, l'immense Bonne Nouvelle d'aujourd'hui est que tout est donné, tout est offert dans le voyage sur les pas de Jésus, et même il ne faut rien emporter. La seule tristesse, ce qui rend triste Jésus dans le récit du jeune homme riche, c'est de penser que l'appel, la « vocation », comme on dit, c'est pour les autres, les religieux, c'est une maladie un peu honteuse qu'on préfère ne pas attraper.
Non! L'appel, c'est le point de départ obligé d'un parcours chrétien, car cet appel est multiforme, il n'arrête pas de se créer, de se recréer avec chacun, chacune des appelés. L'élection est un principe de différenciation. Comme si Dieu disait à chacun: « J'ai besoin de toi pour une mission absolument singulière ». Dans la vie chrétienne, on ne se trouve qu'en se quittant.

F. David