22° Dimanche du TO (C) Lc 14, 1.7-14

Frères et sœurs, dans notre écoute de cet Évangile, dans notre manducation de la Parole de Dieu tout au long de la semaine, il est important de laisser monter en nous les questions, les réactions que nous pouvons avoir. Notre travail de la Parole de Dieu, le travail de la Parole de Dieu en nous, peut passer par ces questions, ces réactions que la Parole de Dieu suscite dans notre tête.
Mais peut-être avons-nous été éduqués à taire ces questions ; cela revient à scier la branche sur laquelle nous méditons la Parole de Dieu. Dans l'Évangile de ce jour, il est légitime de se demander que veut Jésus de nous. Veut-il que nous fassions semblant ? que nous mimions l'humilité en faisant exprès de nous diminuer ? Nous sentons bien ce qu'il peut y avoir de forcé dans une telle attitude. Nous sentons peut-être aussi qu'il n'y a parfois pas de pire posture narcissique que de jouer au petit et à l'humble…
Frères et sœurs, dans notre manducation de la Parole de Dieu, il nous faut prendre en compte les questions et réactions qui nous viennent, et avec elles revenir au texte lui-même pour le creuser, précisément avec ces questions… qui ne sont pas de mauvaises questions.

Reprenons donc notre Évangile et regardons attentivement le texte. Il y est question d'un repas, un jour de shabbat. Jésus voit les invités prendre les premières places, et Il leur dit : « quand quelqu'un t'invite à des noces ». Voilà, tout est dit.  Dans un seul mot : les noces... dont le sens n'est pas éloigné de celui du shabbat dans la tradition juive.  Mais Jésus ne dit pas seulement : quand quelqu'un t'invite le jour du shabbat ; il va jusqu'au bout de la signification du shabbat : quand quelqu'un t'invite à des noces. C'est le grand thème Biblique qui dit l'Alliance de Dieu avec l'humanité, la venue du Verbe de Dieu dans sa création.
Quand nous sommes invités au mariage de quelqu'un de proche, notre cœur est comme soulevé de l'intérieur, et nous sommes prêts à déroger à nos habitudes, parce que ce jour n'est pas comme un autre. Et dans un mariage, il y a de la joie, de la joie démultipliée, de la surabondance. C'est cela l'irruption du Royaume dans nos vies, sauf que cela dure plus qu'une journée, mais toute une vie. L'Alliance de Dieu avec l'humanité, la venue du Christ dans notre monde, l'irruption du Royaume dans nos vies, viennent soulever notre cœur de l'intérieur et nous incitent à agir différemment à cause du Christ et de la logique du Royaume.
C'est cela qui nous pousse de l'intérieur à des attitudes nouvelles, à des attitudes de gratuité qui laissent passer les autres avant nous – à cause de la logique du Royaume – et nous font inviter ceux qui ne pourront pas nous rendre – toujours à cause de la logique du Royaume -. Et cela dans la joie, comme lors d'un mariage, dans la joie et dans la surabondance du Royaume. Nous constatons que nous sommes bien loin des réponses pieuses et moralisantes. La réponse pieuse serait de nous dire : Jésus a été humble et il nous faut l'imiter. Avec le risque d'une imitation extérieure, sans laisser entrer en nous la Parole de Dieu. Avec surtout le risque d'une piété étroite – Jésus et moi – au lieu d'entrer dans quelque chose de bien plus vaste : les noces, la joie et la fête.
La réponse moralisante rajoutera une couche volontariste : pour obéir à Jésus, il faut que je sois plus humble. Avec le risque d'en faire un effort à faire qui nous centre encore davantage sur nous, au lieu de nous ouvrir aux forces que donne l'Évangile. Il y a bien des années, une religieuse avait un confesseur qui lui disait : vous n'êtes pas assez humble. Et la religieuse de se dire devant le Seigneur : je ne suis pas assez humble, je ne suis pas assez humble. Jusqu'au jour où un bon père jésuite lui a dit : arrêtez de vous regarder et regardez le Christ ! Et tout a changé pour elle depuis ce jour.

C'est là que la Liturgie nous rejoint, précisément en nous dégageant de nous-mêmes. La prière eucharistique IV contient une perle. Elle reprend saint Paul : « afin que désormais notre vie ne soit plus à nous-mêmes, mais à Lui qui est mort et ressuscité pour nous » (2 Co 5, 15) ; et elle ajoute – et là est la perle - : « Il a envoyé d'auprès de toi, Père, l'Esprit-Saint, qui continue son œuvre… ». Donc ce travail de décentrement est le travail de l'Esprit-Saint. C'est l'Esprit-Saint qui nous pousse de l'intérieur à des attitudes nouvelles, à des attitudes de gratuité qui laissent passer les autres avant nous et nous font inviter ceux qui ne pourront pas nous rendre, dans la joie de l'Esprit-Saint, dans la joie gratuite de donner, qui est le propre de Dieu.
Et là nous rejoint aussi le cantique de l'Apocalypse que nous chantons le mardi : la Jérusalem nouvelle « n'a pas besoin de l'éclat du soleil… car la Gloire de Dieu l'illumine et l'Agneau lui tient lieu de flambeau » (Ap 21, 23). Ce travail de décentrement de l'Esprit-Saint en nous est, en fait, une attirance. Nous n'avons plus besoin des premières places, nous n'avons plus besoin que l'on nous rende, parce que Dieu est notre lumière et nous réchauffe. Du moins est-ce un chemin ouvert à notre conversion.

F. Jean-Jacques