18° Dimanche du TO (C) Lc 12, 13-21
Le personnage principal de cette parabole parle comme s'il était la seule personne au monde. Il s'exprime continuellement à la première personne du singulier, il est complètement autocentré :
« Que vais-je faire ? Je ne sais pas où mettre ma récolte... Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j'en construirai de plus grands et j'y entasserai tout mon blé et tout ce que je possède. Alors je me dirai à moi-même... Repose-toi, mange, bois, jouis de l'existence. »
Cet homme parle comme s'il n'avait rien reçu de ses parents et comme s'il n'était pas devenu riche aussi grâce au travail de ses serviteurs. C'est un homme terriblement seul.
« Vanité des vanités, disait l'Écclésiaste. Vanité des vanités, tout est vanité ! ». Le livre de l'Écclésiaste, appelé aussi Qohéleth, est déconcertant au premier abord. Ce cher Qohéleth nous apparaît pour le moins désabusé. Par ailleurs, par certains côtés, il nous apparaît plutôt moderne.
Contrairement à ceux qui pensent que, pour être croyant, il faut continuellement parler de Dieu, cet auteur est le meilleur représentant de la tradition de l'Ancien Testament qu'on appelle les écrits de Sagesse. Ces auteurs ne sont pas à l'affût d'une nouvelle « révélation divine », ces « sages » croient plutôt que pour vivre « sagement », il faut scruter le sens profond des choses ; ils se posent en tout premier lieu la question du sens de la VIE ; et ils posent cette question d'une façon très générale, universaliste, sans référence spéciale au peuple d'Israël. Finalement, ce qui semble un livre très peu religieux est rempli de sagesse divine. Nous savons que les personnes les plus spirituelles ne sont pas nécessairement celles qui parlent de Dieu, mais celles qui vivent le mieux possible la vie humaine que Dieu leur a donné de vivre.
La vie humaine est faite de beaucoup de choses : le travail, la richesse, le plaisir, la douleur, la pauvreté, les joies, les déceptions, la religion, le temps, etc. Le sens de toutes ces choses, la seule chose importante, c'est la vie.
Ce dont est remplie la vie a certes son importance ; mais il serait inutile de rechercher toutes ces choses si l'on oublie la seule chose qui compte : la vie.
Cette sagesse est une excellente introduction à la Sagesse que nous livre Jésus dans l'Évangile de ce jour. Le riche agriculteur de cette parabole, qui n'était préoccupé que de l'accroissement et de la garde de ses richesses, oubliait de vivre – oubliait cette seule réalité qui continue d'exister après notre existence d'ici-bas.
L'oubli de cette valeur suprême de notre propre vie conduit au non respect de la vie de l'autre. L'avidité conduit aux querelles – même entre frères, comme dans le cas de cet homme qui demande à Jésus de régler son problème d'héritage – ; elle conduit aussi à l'oppression, l'injustice et les guerres.
Dans la seconde lecture, saint Paul nous fait une recommandation à ce sujet : centrer le sens de notre existence non pas sur toutes les choses périssables – ce qu'il appelle le vieil homme – mais sur la réalité de la Vie nouvelle reçue en plénitude dans le baptême.
Alors, tout ce qui peut nous séparer perd toute son importance : il n'y a plus de Grec ou de Juif, de Chrétiens ou de Musulmans, d'Orientaux ou d'Occidentaux, de barbares ou de civilisés. Il n'y a que le Christ qui en chacun est la plénitude de Vie.
Nous, Chrétiens, nous parlons trop facilement de Dieu et des choses spirituelles. La sagesse toute terre-à-terre de Qohéleth, reprise par Jésus et par saint Paul, nous rappelle que c'est tout d'abord en vivant et en vivant pleinement la vie humaine telle qu'elle a été voulue et créée par Dieu, que non seulement nous atteindrons notre propre bonheur ici-bas et dans l'au-delà, mais que nous contribuerons à l'avènement d'un monde plus beau et plus juste, celui du Royaume de Dieu.
Pour une vie qui a du sens, pour chercher le Christ dans l'Évangile, il ne suffit donc pas d'avoir la tête au ciel, il faut aussi avoir les pieds sur terre ; ne demandons pas à Dieu notre Père, des signes extraordinaires, des révélations ou des visions, apprenons plutôt à le trouver dans notre cœur, dans le silence de notre cœur… Car, seule cette quête nous apportera la paix et nous apprendra à vivre sur la terre.
F. Jean-Luc