16° Dimanche du TO (C) Lc 10, 38-42

Il y a quelques années une vieille coutume subsistait dans quelques fermes isolées du Vercors : aux repas, il y avait toujours une assiette en plus sur la table, l'assiette de l'inconnu, « l'assiette du pauvre » qui pouvait survenir à tout moment et qui était accueilli comme le Christ. C'était souvent le clochard du coin qui buvait plus qu'il ne mangeait, mais il était toujours reçu avec délicatesse, même si l'on savait qu'on le retrouverait peu de temps après couché dans le fossé…

Cela n'est pas arrivé à Jésus en sortant de chez Marthe et Marie, (bien qu'on l'ait accusé d'être un glouton et un ivrogne… !), ni aux anges après leur visite à Abraham. Mais l'accueil est le même : inconditionnel… comme saint Benoît le prévoit dans la Règle. Accueillir l'hôte qui passe, partager le repas avec lui, c'est accueillir le Christ sous quelque habit qu'il se présente.

Toute la Bible, et surtout le Nouveau Testament, nous montre un Dieu qui s'invite chez nous : « Zachée, descends vite, il faut que j'aille chez toi… » et surtout, pas de chichis dit-il à Marthe qui croyait qu'il fallait mettre les petits plats dans les grands.

Jésus est invité ou s'invite chez les pauvres ou les riches, les gens bien ou les pécheurs. « Donne-moi à boire » demande-t-il à la Samaritaine. Nous ne voyons pas Jésus inviter lui-même. C'est à son Père qu'il réserve d'inviter dans la salle du festin…

Il n'y a que deux repas où Jésus invite lui-même les autres à venir manger : le dernier, le jeudi saint, veillée pascale où sa Parole devient chair et sang, nourriture et boisson. Et, après sa résurrection, au bord du lac : un feu de braise, du pain et du poisson. Deux repas fondateurs de l'Eglise, deux repas où l'amour s'incarne, où l'amour se dit et s'enracine : « Pierre m'aimes-tu ? »

L'eucharistie, la messe, n'est pas un rite, une cérémonie à laquelle tout chrétien est tenu de participer régulièrement. La messe dominicale est une invitation réciproque où chacun de nous est à la fois l'invité et celui qui invite. Nous nous réunissons pour offrir, comme Marthe et Marie, l'hospitalité à Jésus. De son côté, Jésus nous invite à participer au banquet offert par son Père, notre Père. C'est le Père qui invite ses deux fils à entrer et à se réjouir, c'est le Père qui envoie ses serviteurs draguer les rues et les places, etc.

Avez-vous remarqué que dans les deux évènements évoqués dans les lectures (Jésus chez Marthe et Marie et les anges chez Abraham), le repas sert de cadre à une parole : la promesse d'une descendance à Abraham et la parole de Jésus (la meilleure part) chez Marthe et Marie. Repas et parole sont indissociables. Que diriez-vous d'un repas où tout le monde se tairait… ! Là encore la Règle de saint Benoît est réaliste : la lecture ne doit jamais manquer pendant les repas…

Le dimanche, il n'y a pas deux tables, il n'y en a qu'une, un repas au cours duquel nous faisons mémoire de notre histoire, de l'histoire de Jésus, où nous partageons la parole de Dieu et le pain de Dieu. Un repas joyeux où on aime chanter. Cela me rappelle une anecdote. Un de mes vieux amis, tertiaire franciscain, organisait chaque année une messe pour ce qu'il appelait « la Chorale des Inquiets ». C'était, en fait, des gens plutôt mal-croyants, femme de petite vertu, piliers de bistrot, etc. Il leur faisait répéter quelques chants religieux pour animer la messe, une joyeuse cacophonie de vingt braillards. C'était, une fois par an, la salle du festin de l'Evangile. Au repas qui suivait, offert par cet ami, les chants étaient moins « religieux », mais je n'avais aucune peine à imaginer la joie de Dieu ! Je vous inviterais volontiers à chanter avec la communauté, mais il faudrait une autre répétition et je ne suis pas sûr du résultat… !

Souvent, en voyant nos assemblées, je pense aux Corinthiens dont saint Paul décrit les réunions peu reluisantes et où il explique la folie de Dieu, ce Dieu qui invite et réunit une foule disparate et qui s'y invite. Et il en tire la conclusion que, puisque Dieu s'invite et nous invite, nous avons la juste obligation de nous inviter et de nous attendre les uns les autres au lieu de venir chacun pour soi…

Mais l'heure tourne et, comme le dit le livre des Proverbes, il ne convient pas de gâcher le repas par trop de discours. Laissons maintenant entrer la joie de Dieu au milieu de nous.

F. Pierre