15° Dimanche du TO (C) Lc 10, 25-37

Nous le savons tous, cette parabole du bon Samaritain est comme un concentré de l'Evangile, une pierre de touche du christianisme, un visage du Dieu des chrétiens.
Et pourtant, dans cette parabole, Dieu n'est jamais évoqué, jamais nommé, c'est une histoire d'hommes, il n'y a que des hommes ! Par cette parabole, Jésus a marqué en profondeur l'humanité de l'homme, et il n'est pas besoin de confesser la foi chrétienne pour comprendre ce récit et acquiescer à la conclusion de Jésus : « marche et, toi, fais de même ! ».
Du même coup, ce récit nous renvoie en pleine figure le risque majeur de la religion : passer à côté, passer à côté de son humanité…
Ce risque de la religion, Jésus le stigmatise dans sa parabole parce que c'est à un religieux qu'il s'adresse, un docteur de la Loi, et il lui donne à voir d'abord justement deux personnages religieux : un prêtre et un lévite… deux religieux qui passent à côté, deux religieux « à côté de la plaque » ! Et celui qui est dans le mille, c'est non seulement un laïc, mais un étranger et un hérétique, un Samaritain !
Vous voyez que Jésus n'a pas attendu la crise actuelle pour nous secouer : prêtres et religieux dans le collimateur… Eh bien, oui, nous chrétiens, c'est de ce Jésus que nous sommes disciples ! de ce Jésus qui nous met en garde : que vous soyez laïc, prêtre ou religieux, votre religion ne vous évitera jamais le risque d'être à côté de la plaque…

Le sens de cette histoire, tout le monde le comprend ; nous savons ce que nous avons à faire, parce que, comme Jésus nous l'a dit, « des pauvres, vous en aurez toujours avec vous », des blessés au bord du chemin, des laissés pour compte de la marche en avant, laquelle marche en avant, remarquons-le, est une descente vertigineuse, à l'image du dénivelé qui relie Jérusalem à Jéricho !
Remarquons aussi que Jésus précise que les trois ont vu ; tout le monde voit la souffrance, tout le monde ! mais les deux premiers font comme s'ils ne voyaient pas : « il n'y a pas de problème ». « tout va bien ! il n'est pas si blessé que ça, il n'est qu'à demi-mort, et puis il doit pouvoir se relever tout seul, et puis Dieu est si grand, il s'en charge ! Il n'y a pas de problème ! Et d'ailleurs, même s'il y avait un problème… il n'y a pas de solution ! » Circulons !
Aujourd'hui, nous avons une seconde façon de passer à côté, à peine plus vertueuse : on voit le problème, on a mauvaise conscience et on veut faire quelque chose, mais… à distance raisonnable, sans trop s'approcher, raisonnablement et par la raison, en misant sur des médiations, sociales ou religieuses.
Il faut qu'il n'y ait personne au bord du chemin, pas de laissés pour compte, ce qui veut dire instituer beaucoup de bonnes institutions, sécurité sociale, assurance, assistance, mais aussi barrières de sécurité entre Jérusalem et Jéricho, radars pour éviter aux mules de s'emballer, tolérance zéro pour les bandits, seule compte la sécurité de tous, IL FAUT. Point.' Et d'exiger de la part des institutions plus encore d'institutions, toujours davantage…
A quoi peut mener une telle attitude ? Peut-être à cette pancarte posée par une municipalité à l'entrée d'un cimetière : « Nous travaillons à faire de ce cimetière un endroit plus sûr » ! Impasse ! Tout au bout du « il faut », on trouve toujours « il faut mourir ». Point final.

Alors, frères et sœurs, écoutons mieux l'histoire. Ce n'est pas la raison qui a fait agir le Samaritain, ni la mauvaise conscience, ni la philanthropie, ni le devoir, non, rien de tout cela !
Jésus nous dit que le Samaritain, en voyant l'homme, a été saisi, bouleversé, littéralement « pris aux entrailles », en français familier, « pris aux tripes » ; c'est pour cela qu'il s'est approché, et alors tout s'est enchaîné très vite, il a soigné l'homme blessé, il l'a porté, il l'a pris en charge… Un choc émotionnel, une émotion, mais si vraie, si peu romantique que l'action a été immédiate, pas le temps de siroter son émotion en regardant la télé ! sans distance, sans « télé » justement, tout près, tout de suite. Dépossédé de lui-même et de tous ses projets personnels par la compassion. Quand la compassion et l'action s'enchaînent avec cette force-là, Dieu est là, c'est Dieu qui remue dans mon ventre, Dieu qui crie et qui veut naître de mes entrailles !

Pour devenir ce Samaritain, cet homme « pris aux entrailles », en qui Dieu vient au monde, une chose peut m'aider : le regarder, et puis le reconnaître, parce que, de fait, je le connais, je l'ai connu ; ou plutôt c'est lui qui m'a connu… Quand il m'a connu, j'étais pas beau à voir, j'étais en piteux état, si bien que justement, quand il s'est approché de moi, j'étais complètement dans le cirage, quand il a fait pour moi tout ce qu'il a fait, j'étais inconscient, quand il m'a soigné avec amour, j'étais inconscient, et quand j'ai repris conscience, à l'auberge, il était déjà parti.
Je ne le connais que par ouï-dire, c'est l'aubergiste qui m'en a parlé, il m'a dit que cet homme a payé pour moi, il a même aussi laissé des arrhes ; il n'est pas d'ici, mais il a dit qu'il reviendrait.
Depuis, il me reste l'Auberge, comme s'il allait y revenir ; alors j'y retourne souvent, le dimanche ou chaque jour, pour entendre parler de celui qui m'a sauvé, pour manger et pour boire…
Quand j'en ressors, c'est avec une force nouvelle, et un plus grand désir de devenir moi-même ce Samaritain, ce Jésus, cet homme « pris aux entrailles » en qui Dieu vient au monde.

frère David