Saint Benoît Lc 22, 24-30

Pr 2, 1-9 ; Rm 12, 3-13 ; Lc 22, 24-30

Frères et sœurs, savez-vous où se trouve le trou le plus profond jamais creusé dans le sol de notre planète ? Non, ce n'est pas en Pologne… ni en France. Il se trouve en Russie, dans la péninsule de Kola, dans le nord européen de la Russie. C'est là que pendant env. 20 ans des géologues soviétiques ont foré et sondé le sol. À plus de 12 kilomètres de profondeur, la chaleur était telle qu'ils ont dû arrêter. Ils n'ont pas atteint le centre de la Terre, mais ils ont découvert des choses insoupçonnées : des roches datées de 2,7 mld d'années, de l'eau là où elle ne devrait pas exister, des formes de vie fossiles microscopiques… En creusant pour comprendre, ils ont touché le mystère.

Nous aussi, frères et sœurs, nous sommes appelés à forer. Pas dans la terre, mais dans notre vie spirituelle. Comme les géologues en Russie, saint Benoît nous appelle à creuser en nous-mêmes, chaque jour, pour y rencontrer Dieu. Le livre des Proverbes, à son tour, nous invite à creuser pour atteindre la sagesse et la connaissance de Dieu : « Si tu creuses comme un chercheur de trésor… alors tu découvriras la connaissance de Dieu. » Il ne s'agit pas d'un savoir académique qu'on accumule. La connaissance de Dieu ne s'atteint pas par diplôme, mais par pelle. Une pelle faite de silence, de fidélité, de prière, de patience, de vie fraternelle, d'amour. On cherche la sagesse, la connaissance de Dieu, comme on cherche l'eau dans le désert, avec soif et ténacité. Oui, Dieu ne se donne pas en surface, comme beaucoup de choses sur les surfaces de nos écrans. Il se cache pour qu'on le désire.

Dans l'Évangile, les disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand. Jésus les regarde avec patience, et leur répond : « que le plus grand d'entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. » Il ne dit pas : « comme celui qui jeûne et prie beaucoup » ou « comme celui qui est irréprochable », mais « comme celui qui sert ».

Saint Benoît l'a bien compris. Pour lui, le monastère n'est pas un centre de spiritualité élitiste. C'est un lieu de service réciproque. Chacun creuse en lui pour servir mieux. Et ce service est une descente ou une montée dans l'humilité. Il ne s'agit pas de creuser pour briller, pour être plus pieu que notre voisin, mais de creuser pour aimer. Il dit : « Ils se rendront mutuellement service dans la charité fraternelle ; nul ne cherchera son propre avantage, mais plutôt celui des autres » (RB 72).

C'est comme ces ouvriers qui creusent un puits pour un village. C'est très frappant p.ex. en Afrique : il fait chaud ; ils sont couverts de poussière ; ils n'en profiteront peut-être jamais eux-mêmes de ce puits. Mais ils creusent. Et d'autres vivront grâce à leur travail.

Saint Paul compare la vie spirituelle à une course. Mais on pourrait aussi la rapprocher de la géologie. Elle demande de descendre couche après couche : sous les apparences, sous les habitudes, sous les blessures… jusqu'au noyau où Dieu habite déjà. Et parfois, en creusant, on entend une parole - comme un écho venu du fond : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » Alors, tout change. On devient simple. On devient vrai. On devient serviteur.

Il y a deux façons de vivre. Glisser à la surface des choses, comme le doigt sur la surface d'un smartphone qu'on fait défiler sans fin, happés par des urgences, des conflits de pouvoir, la vitesse du monde. Ou bien : prendre la pelle de l'Évangile, de la prière, des psaumes, de l'engagement… et creuser. Le moine, le chrétien est cet homme qui accepte de creuser là où d'autres courent sans savoir où. Il perd peut-être du temps aux yeux du monde. Mais il gagne en profondeur.

Mais vous me direz peut-être : « ça fait des années que je creuse, que je fore, et rien. J'ai l'impression d'un vide, d'ennui, j'ai des doutes ».

Frères et sœurs, les géologues de Kola ont foré pendant 20 ans sans voir de résultats immédiats. Ils n'ont pas trouvé de trésor éclatant, mais des traces de vie inattendues, enfouies depuis des millions d'années. Il a fallu descendre très bas pour découvrir ce que la surface ignorait. De même, dans nos vies, l'espérance dans l'épreuve, la fidélité dans le doute, la persévérance dans la prière et l'amour fraternelle, tout cela creuse en nous un espace, une profondeur.

Alors, continuons à forer, à l'école de saint Benoît, avec la patience et la foi que plus on descend, plus on touche Dieu. Et si jamais nous n'arrivons pas jusqu'au centre, comme ces scientifiques soviétiques, nous pouvons découvrir que le vrai trésor c'était de creuser, de chercher, d'aimer, de se donner, de servir.

fr. Maximilien