Vendredi Saint (B) Jn 18, 1 – 19, 42

J'ai soif ! Ce cri de Jésus retentit à nos oreilles depuis la nuit des temps, depuis que l'homme est homme, depuis qu'il souffre du manque. Manque d'eau, de nourriture, mais aussi et surtout, manque d'amour. Depuis toujours, cette privation s'apparente à un abîme, un gouffre. Nous voudrions remplir ce vide, pour qu'il n'y ait plus jamais de souffrance, plus jamais d'enfants qui meurent à cause de la famine ou de la guerre... Dieu est-il si impuissant pour qu'il se laisse mourir, et qu'il veuille juste être avec nous, sans résoudre une fois pour toutes le problème de la souffrance ?

Dans sa sagesse infinie, il n'a pas voulu fermer la porte sur ce gouffre, ni l'occulter ou le cacher. Mais il l'a laissé ouvert, visible,  comme  pour nous montrer la profondeur de son amour, à la mesure de cet abîme. La croix du Christ est un pont jeté sur le gouffre de la souffrance. Un pont sur lequel nous cheminons, comme ces passages précaires construits au-dessus des précipices, avec juste quelques planches de bois et des cordes. Si nous voulons marcher dessus, et franchir l'autre côté, il ne faut surtout pas regarder en bas. Sinon, c'est le vertige assuré et nous risquons de tomber. Comme l'apôtre Pierre marchant sur les eaux, nous devons plutôt fixer notre regard sur Jésus qui a accompli le passage, et qui nous attend sur la rive opposée. Il nous a laissé sa croix comme un gué pour marcher dessus, comme un témoignage de son salut.

Frères et sœurs, si Dieu n'a pas voulu combler par de la terre de remblai l'abîme de la souffrance, il a choisi néanmoins de faire couler à l'intérieur de ce gouffre le torrent de son amour, son Esprit Saint. Même si nous glissons du gué de la croix, en fixant trop les yeux sur notre misère abyssale, nous tomberons finalement dans ce fleuve, et nous serons emportés par sa miséricorde infinie. Non, l'abîme n'est plus synonyme de mort. Tout est passage, tout est accompli, achevé par le Christ. La plaie de sa mort reste ouverte, son tombeau aussi. Le vide est désormais rempli pour toujours de l'espace infini de son amour. Amen.

F. Columba