Jeudi Saint (B) Jn 13, 1-15
« Il y a un sens créateur de l'univers et de l'humanité, une rédemption de toute l'histoire, un recommencement de toute la création en ces paroles : 'Ceci est mon corps, ceci est mon sang' ». Ces mots sont de Maurice Zundel, et ils disent la force du mystère que nous vivons en ce moment-même, où le Christ se livre - dans un dépouillement absolu - non seulement pour chacun de nous, mais pour toute l'Église, pour le monde entier, et pour toute la création. Oui, l'Eucharistie, ce n'est pas quelque chose de « privé », « mon Jésus à moi, pour moi tout seul », mais c'est le lieu-même du rassemblement de toute l'Église, le lieu éminent et exigeant de la charité, qui nous demande d'être situés dans une communion universelle élargie à tous les êtres vivants. Et cela nous entraîne dans une série de dépouillements, d'humilités et de pardons à la suite du Christ. Lui-même nous dit : C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous.
Il est étonnant que Jésus ne nous demande pas d'aimer Dieu. Peut-être parce qu'il considère que cela coule de source. Par contre, il nous commande de nous aimer les uns les autres, ce qui est bien plus difficile. Pourquoi insiste-t-il sur l'amour du prochain ? Parce que si je vais à Dieu seulement de manière individuelle, il y a de fortes chances que je fasse de lui une idole, un dieu sur-mesure, à ma taille humaine, qui puisse répondre à tous mes besoins personnels. Si Jésus nous commande de nous laver les pieds les uns aux autres, de nous servir mutuellement, c'est pour nous faire sortir de nous-mêmes, et pour nous amener à vivre la communion, l'universalité en lui. Comme le Christ a été dans le don suprême et sans limites de lui-même, nous sommes appelés à nous donner à tous, à entrer dans l'horizon communautaire qui est au cœur du message de l'évangile. Ce qu'on appelle l'Église est précisément cette relation d'amour qui existe entre nous, et qui doit être le signe de la communion entre tous les hommes. Ubi caritas et amor, Deus ibi est. Là où sont l'amour et la charité, Dieu est présent.
Dans le passage de l'Exode que nous avons entendu, il est écrit que l'on prendra un agneau par famille pour fêter la pâque, un agneau par maison, et que si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre de personnes. Cela nous montre bien la dimension communautaire de la Pâque. Il est impossible de faire mémoire du salut de Dieu d'une manière uniquement individuelle. Toute la communauté doit se rassembler pour manger l'agneau. Cet Agneau, pour nous les chrétiens, c'est le Christ, qui se livre pour l'humanité. Son sang – comme celui des animaux qui était répandu sur les montants et le linteau des maisons – est un signe qui nous fait échapper au fléau du mal. Il nous purifie et nous lave. C'est pourquoi Jésus utilise le geste du lavement des pieds pour exprimer cette donation. A la Cène, qui préfigure sa Passion, son amour pour nous déborde, c'est un flot de vie qui se répand sur chacun des disciples, même sur Pierre qui le reniera, même sur Judas qui le trahira.
Frères et sœurs, vous l'avez compris, l'Eucharistie est tout entière présente dans le mandatum, le lavement des pieds. Elle y est implicitement contenue. Le Christ ne dit rien, mais il pose un geste symbolique qui dépasse tous les discours sur la charité. Et nous, comment mettons-nous en « œuvre », en « action » l'amour de Dieu pour notre prochain ? Il est facile de parler d'amour, mais de quelle manière l'incarner ? Jésus nous montre le seul chemin de la charité : c'est celui de l'abaissement, de l'humilité. Un terme théologique (un peu compliqué) l'exprime bien : la kénose. Ce mot signifie « dépouillement », « vide ». Le Christ a vécu parfaitement ce que les orientaux appellent la « vacuité ». Il a tout abandonné afin de nous laisser toute la place. Cela veut dire que nous devons faire la même chose. Mais attention : nos sacrifices n'ont aucun sens en dehors du sien. Il est l'unique et le dernier agneau sacrifié. Quand nous souffrons, c'est lui qui souffre en nous. Il continue sa Passion dans les membres de son Église. Non seulement il ne nous abandonne pas à notre souffrance, mais il la prend sur lui par amour.
Ce soir, l'Eucharistie comme « sacrement de communion et d'unité » nous est livrée en même temps que le commandement suprême : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », « Prenez mon corps, prenez mon sang ». Jésus nous montre, par le lavement des pieds, que le sanctuaire de Dieu, c'est notre humanité. C'est ainsi qu'il nous unit à lui, à sa divinité. Que cela soit pour nous un mémorial, un souvenir à jamais. Amen.
F. Columba