Sacré-Cœur de Jésus (B) Jn 19, 31-37

Frères et sœurs, c'est la solennité du Sacré-Cœur de Jésus, et pourtant dans cet extrait d'évangile que nous avons entendu, il n'y a pas une seule fois le mot « cœur ». Cependant, il est question du « côté » de Jésus, qui est transpercé après sa mort, et duquel sortent du sang et de l'eau... Cela veut-il dire que pour accéder au cœur du Christ, qui est au centre de notre vie, il faut créer une ouverture, une brèche en passant par le côté, puisqu'on ne peut pas le faire directement ?

Le « côté » de Jésus, comme nous le rappelait un frère récemment, fait écho à la « côte », ou plutôt au côté d'Adam. Pendant que celui-ci était plongé dans un profond sommeil, Dieu a extrait de lui une côte, pour en faire une femme. D'ish, « l'homme » en hébreu, est issue isha, la « femme ». Du Christ, le masculin, est née l'Église, le féminin, dans une parfaite complémentarité. Voici l'os de mes os, la chair de ma chair, s'exclame Adam, le premier homme. Il y a union dans la différence. L'un devient deux, dans un vis-à-vis des regards. Sans le Cœur du Christ, l'Église ne peut pas vivre. Il est son centre, son point d'appui, son soutien. Sans l'Amour de Jésus, l'Église n'est qu'une pieuse ONG, disait le pape François. Si elle n'est pas unie à lui, elle perd son essence. Sans moi, vous ne pouvez rien faire, dit Jésus. En tant que membres de son Corps, nous sommes le sarment uni au cep, de qui nous puisons toute la sève qui nous fait vivre. L'Église tire du Christ toute son énergie, sa vitalité. Il est sa force, son cœur battant.

Notre foi au Christ, dit saint Paul, nous donne l'assurance nécessaire pour accéder auprès de Dieu en toute confiance. C'est la foi qui nous fait accéder au cœur du Christ par le côté, et qui nous donne d'y trouver la vie par cette blessure, alors que son corps crucifié vient de mourir. Le corps de Jésus a été livré, remis aux hommes, mais son cœur continue de nous aimer. De lui jaillissent le sang et l'eau, les sacrements de l'Église qui nourrissent les fidèles. Et c'est du côté transpercé que sortent ces sacrements, car il nous faut faire toujours un détour, un pas de côté comme Moïse au buisson ardent, pour accéder à la lumière irradiante de son Amour.

Aucun de ses os ne sera brisé. Nous qui sommes « l'os de ses os, la chair de sa chair », issus de son côté, nous ne pourrions pas survivre si ses os étaient brisés. Jésus est à la fois notre structure intérieure, notre ossature, et notre chair, notre peau fragile et extérieure. Il donne le fond et la forme de toute vie. C'est à partir de son Cœur que tout être vivant peut subsister, car le cœur fait vivre les organes du corps tout entier. Voilà pourquoi il nous faut être « enracinés dans l'amour, établis dans l'amour ». Le Christ, qui habite en nos cœurs, est notre architecture. À la fois fondation et pierre d'angle de notre vie, il prend toutes les dimensions : longueur, largeur, hauteur, profondeur... Son Amour est  infini, et  son Cœur nous aime sans mesure. Il nous comble et nous fait entrer dans la plénitude de Dieu.  

Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé. Pour accéder au Cœur du Christ, il nous faut faire un pas de côté, comme je le disais, y venir par la marge et la pauvreté, mais aussi par le bas, par l'humilité. Ce Cœur sera toujours au-dessus de nous, jaillissant d'en-haut. Comme une pluie bienfaisante, il se déverse sur nous depuis le Ciel, nous qui sommes sur la terre. C'est un Amour qui ne connaît rien d'équivalent en ce monde. Quand il reste collé à la terre, l'amour n'est que convoitise et possessivité. En levant les yeux vers celui que nous avons transpercé, nous nous rendons compte que c'est à cause de nos fautes qu'il a été blessé à mort, à cause de nos manquements et nos détours. Voilà pourquoi la Source ne peut jaillir que du « côté », car c'est là, au cœur même de notre péché, que l'Amour se révèle.

Un jour, viendra le temps où il faudra descendre le corps du Christ de la croix. La veille du grand Sabbat, le repos éternel où tout sera accompli, achevé. En effet, c'est dans l'Amour que tout est consumé. Lui seul, ce Cœur, est capable de se donner au-delà de la mort. Il ne s'épuise jamais dans le don de lui-même. Quiconque s'abreuve à cette Source peut se donner comme le Christ. Il ne perdra jamais la sève qui le fait vivre. Car Jésus le nourrit, non plus de lait et de miel, mais du sang et de l'eau. Il le fait grandir, le porte comme un nourrisson qu'on soulève contre sa joue, comme dit le prophète Osée. Le Christ continuera toujours de donner à manger à son Église. Cette épouse qu'il a connue depuis sa jeunesse, qu'il a formée et affermie depuis les origines, il restera toujours auprès d'elle, malgré son infidélité et son péché. Rendons grâce à Dieu de nous aimer à ce point, de se pencher vers nous malgré notre indignité, et d'avoir mis en lumière l'insondable richesse de son Fils. Amen.

Fr. Columba