Saint Sacrement (B) Mc 14, 12-16.22-26

En ce premier dimanche de juin, nous célébrons le « Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ ». Comment parler de ce mystère ? Pour désigner un arbre, un mot suffit : cerisier, pommier… Pour parler de l'Eucharistie, un mot ne suffit pas. Depuis 2000 ans, l'Église a inventé, multiplié les noms pour désigner l'Eucharistie : La fraction du pain, le Repas du Seigneur, les Saints Mystères, l'Action Sainte, la Messe… tellement est grand ce mystère, comme nous le chantons après la Consécration : « Il est grand le mystère de la foi… ».

Arrêtons-nous sur la plus ancienne appellation de l'Eucharistie, la « Fraction du pain… », dont la simplicité même dit la profondeur du mystère d'amour qu'est l'Eucharistie. Nous venons d'entendre dans l'Evangile : « Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna et dit : Prenez, ceci est mon corps… Puis, ayant pris une coupe et, ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude… ».

Quoi de plus simple que ces gestes qui sont notre réalité quotidienne : manger et boire, rompre le pain, partager le verre de l'amitié…

Le livre de l'Exode, en première lecture, évoquait les sacrifices de la première et ancienne Alliance : quelle complexité ! Il faut tuer taureaux et boucs pour les holocaustes et les sacrifices de paix… répandre du sang sur l'autel… Le chemin de l'Ancien au Nouveau Testament va toujours de la multiplicité et de la complexité à la simplicité. Cela est vrai de l'eucharistie : à la multiplicité et complexité des sacrifices de l'Ancienne alliance, Jésus oppose la simplicité des gestes du pain rompu et de la coupe partagée…

Ces gestes disent la simplicité infinie du mystère de Dieu, de l'infinie et absolue gratuité de son Amour. Selon l'étymologie, ce qui est simple c'est ce qui n'a pas de pli, de repli, de faux pli… L'Amour de Dieu révélé en Jésus, dans le don de son corps et de son sang, est un amour pur et simple, sans aucun pli, repli sur soi…

A la source de l'Eucharistie, il y a ce geste premier du Seigneur Jésus qui « rompt le pain ».

Mais le pain est rompu en un double sens : souffrance, sacrifice et partage. Nous disons parfois : « Je suis rompu de fatigue… je suis vidé… ». Le pain rompu, c'est le Christ qui – dit l'apôtre Paul – se vide en quelque sorte de sa divinité, s'offre en sacrifice, par son corps livré et son sang répandu : « … Poussé par l'Esprit, Jésus s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache et son sang purifiera notre conscience des actes qui mènent à la mort pour que nous puissions célébrer le culte du Dieu vivant… » avons-nous entendu dans l'Épître aux Hébreux. Par l'Eucharistie le Seigneur nous prend, nous fait entrer dans l'offrande de sa vie au Père, pour nous, car « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime… » ; don, amour totalement gratuit du Christ, sans aucun pli, repli sur soi.

Le pain est aussi rompu pour être partagé… si Dieu nous partage le pain qui est le Corps du Christ, nous devons à notre tour partager notre pain. Partager ainsi c'est permettre à Dieu de répandre l'abondance de ses dons sur l'immensité du monde. Lorsqu'aujourd'hui des millions d'êtres humains, d'enfants ne mangent pas à leur faim, n'ont pas d'eau à boire, comme à Gaza ce n'est pas que Dieu donne moins, c'est que les humains ont choisi la violence plutôt que le partage et ne savent pas partager.

Par le pain rompu et partagé, par la coupe du sang versé, Jésus s'est en quelque sorte « vidé » apparemment de sa divinité… C'est ainsi qu'il vient diviniser notre humanité, nous rendre divinement humains. Communier au corps et au sang du Seigneur, c'est laisser son Amour infiniment simple et plénier, pénétrer en nous comme la nourriture et la boisson, pour remplir d'amour et diviniser le quotidien de nos existences. Jésus, dans cet évangile de Marc, envoie ses disciples préparer la salle et la table pour son dernier repas, comme nous le faisons lorsque nous recevons des proches, des amis… Et ce qu'ils ont préparé – le pain et le vin de notre offrande, ce pain et ce vin que l'on apporte à l'offertoire, « fruit de la terre et du travail des hommes » – devient la présence même, la réalité de l'acte éternel et infiniment simple d'amour du Seigneur Jésus, qui sanctifie ainsi, transfigure, divinise notre travail et notre vie de chaque jour, avant de le faire en plénitude pour nous et pour toute l'humanité et tout l'univers, quand il reviendra, au terme de l'histoire, comme nous le chantons après la consécration : « Nous attendons ta venue dans la gloire ».

En recevant le Corps du Seigneur en cette fête du Saint-Sacrement, apprenons de Lui à offrir avec Lui et par Lui nos vies à Dieu et à nos frères, pour qu'elles disent davantage l'amour de Dieu pour nous et pour tous. Amen !

P. André-Jean