10° Dimanche du TO*B Mc 3, 20-35

Il a perdu la tête ! Il est possédé par Béelzéboul le chef des démons ! On ne ne peut pas dire que ceux qui disent cela aient vraiment compris Jésus qui attire cependant des foules de gens au cœur souvent très simple et ouvert. Un Jésus homme libre pour reprendre le titre d'un fameux livre du dominicain Christian Duquoc, libre du regard d'incompréhension des gens de chez lui pensant le connaître par cœur, libre du regard malveillant de ses contradicteurs aux pensées compliquées, libre de leur jugement dans lequel ils voudraient l'enfermer.

Bien conscient de cette perception pas toujours ajustée, loin de là, que beaucoup ont de Lui, Jésus posera, ailleurs dans l'Evangile cette pertinente question : Et pour vous qui Suis-Je ? Pour nous, aujourd'hui encore, qui est-Il en effet ? Ne nous arriverait-il pas aussi de nous représenter Dieu comme ceci ou comme cela, au risque de le considérer, comme dans l'Evangile, tel qu'il n'est pas ? Ne nous arriverait-il pas de nous attacher parfois à une représentation de Dieu, une image de Dieu à laquelle Il ne correspond pas, dans laquelle, Il ne se laissera jamais enfermer ? Un autre auteur du siècle dernier, François Varone, pointait une liste de tous ces faux visages, de tous ces masques dont Dieu est trop souvent affublé et qui font fuir ou ont fait fuir à juste titre tant de gens. « Le Dieu que vous rejetez n'est pas le Dieu que j'aime et qui vous aime » avais-je entendu un jour d'une vieille dame parlant à une personne se déclarant farouchement athée.

Cela pourrait-il rejoindre ce fameux blasphème contre l'Esprit ? Peut-être bien d'une certaine façon, dans la mesure où l'on pourrait se rendre prisonnier de ces fausses perceptions de Dieu au point de lui fermer tout accès au cœur, au point de paralyser l'action de son Esprit en nous, au point de refuser avec force l'amour de ce Dieu vivant, tout à la fois plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes et en même temps l'au-delà de tout !

« Jésus parla ainsi parce qu'ils avaient dit : Il est possédé par un esprit impur ! » Bien évidemment, nous ne dirions pas aujourd'hui une chose pareille mais plus subtilement, nous pourrions fermer les portes à son amour, allant jusqu'à penser que Dieu ne peut finalement pas nous aimer et que ce salut n'est pas pour nous si tant est qu'il y en ait un, ou pire, allant jusqu'à une insensibilité par rapport à ce Dieu absent qui ne poserait plus problème, par rapport à ce Dieu lointain, qui, s'il existe, n'aurait cure de nous. Péché dénoncé par exemple par un saint Syméon le nouveau théologien, moine byzantin du 10e siècle alors que déjà, à son époque, certains considéraient qu'en raison des évènements et de l'évolution de l'histoire, il n'y aurait pas grand-chose à faire et que Dieu Lui-même n'y pourrait pas grand-chose. Bref, péché de désespérance en quelque sorte, péché de considérer Dieu comme incapable, impuissant ou du moins à force égale avec le satan dans une vision du monde manichéenne, binaire et réductrice avec un Dieu du bien et un dieu du mal qui s'affronteraient presque à armes égales. Là encore, c'est plaquer sur Dieu un masque mensonger, pire, le ravaler au rang d'idole au sens étymologique du terme, c'est-à-dire, de reflet, de miroir ne renvoyant que notre propre image, de reflet mortifère comme dans le mythe de Narcisse. Mais nous pourrions aussi être alors légitimement interloqués par le fait que pour ce péché-là, il n'y a pas de pardon, pas d'acquittement lit-on en d'autres traductions. Et là, il y a parfois le risque de contresens de comprendre que le prix d'un tel péché est un châtiment éternel. Soyons bien attentif au texte qui n'évoque pas un châtiment éternel mais bien un péché éternel de refus violent se figeant en un blocage invincible que Dieu n'entend pas vaincre par une magie douteuse qui ferait violence à notre liberté. Cela veut dire qu'il n'a choisi d'agir sur elle que par mode de dialogue dans le cadre d'une alliance sans cesse proposée et à réactualiser. Un dialogue aussi insistant, aussi pressant, aussi persuasif soit-il mais un dialogue quand même qui respectera jusqu'au bout l'inviolabilité du partenaire. Son amour ne s'imposera jamais par la force, ce serait une antithèse de celui-ci. L'on retrouve alors cette liberté de Jésus nous appelant aussi à être libre par rapport à tous nos blocages et autres paralysies, à l'écouter en vérité et à accueillir cet Amour venu du Père en laissant l'Esprit travailler lui aussi plus librement. Ce péché contre l'Esprit aurait-il encore à voir avec ce que nous lisons aujourd'hui au livre de la Genèse, le péché originel, peut-être bien, notamment lorsque l'on considère le passage non lu aujourd'hui où Adam et Eve se cachent de Dieu qui demande : « Adam, où es-tu ? » Si vous avez lu les Frères Karamazov de Dostoïevski, peut-être avez-vous remarqué le passage où un commissaire de police va voir un rabbin en prison et, pour le mettre à l'épreuve, s'étonne de cette question de Dieu qui sait pertinemment où se trouve Adam. Et la réponse magnifique du Rabbin : tant qu'il se cache de Dieu, aucun chemin de vie ne peut s'ouvrir dans son existence, comme pour toi-même aujourd'hui ! Mais confiance, notre Dieu vivant saura bien profiter de quelques fissures et autres défauts de notre carapace pour s'inviter dans nos vies, le plus souvent dans la discrétion, parfois plus bruyamment, mais toujours dans le respect de notre fragilité. Alors, écoutons, soyons attentifs à ses signes, le plus souvent à ses signaux faibles, et laissons-le volontiers renouveler de jour en jour notre être intérieur.

Frère Philippe-Joseph