Mercredi des Cendres Mt 6,1-6.16-18

Frères et sœurs, peut-être avez-vous remarqué que cette année le mercredi des Cendres tombe le jour de la Saint Valentin, la fête des amoureux. Pas de chance pour les couples chrétiens, pris sans doute dans un dilemme qui consistera à devoir choisir, soit de célébrer leur amour reçu de Dieu, ou bien de faire pénitence. Apparemment, les deux sont incompatibles, mais pourtant, quand on y réfléchit bien, le sacrifice et le don de soi ne sont-ils pas une affaire d'amour ? Car on sait bien qu'un sacrifice sans amour, c'est du masochisme. Et un amour sans sacrifice, c'est un amour de soi déguisé en amour de l'autre.  

Revenez à moi de tout votre cœur (…) Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d'amour, renonçant au châtiment. Ce passage entendu tout à l'heure nous dit que pour aimer, notre cœur doit se déchirer. D'ailleurs, l'amour vrai n'est-il pas déchirant ? N'exige-t-il pas un renoncement ? Il y a des amours impossibles qui nous déchirent de l'intérieur, parce qu'ils nous obligent à purifier notre regard, afin de ne pas céder à la convoitise en recherchant la possession de l'être aimé. Dieu, lui, n'a pas besoin de déchirer son cœur, car le sien est toujours ouvert, accueillant à la différence. Le nôtre, par contre, n'a de cesse de se refermer, comme une huître qui vous coince les doigts quand vous essayez de l'ouvrir.

Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre !, continue le prophète Joël. Ce passage nous parle encore de l'amour, d'un amour vrai qui sort de lui-même pour se donner à l'autre. Les êtres aimés sont appelés à sortir de la fusion dans laquelle ils risquent de s'enfermer. L'amour vrai est un amour libre, c'est-à-dire capable de s'ouvrir en renonçant au « tout » ou au « rien ». Car la totalité et le néant de l'idole enferment dans l'absolu, et rendent l'homme incapable de s'ouvrir à l'inconnu et au Mystère qu'est Dieu.

Pour bien aimer, l'évangile nous prescrit de ne pas avoir une mine abattue, mais de nous parfumer et de nous laver le visage. Car si l'on se parfume ou qu'on se lave, c'est surtout pour les autres, pour éviter les mauvaises odeurs. La vertu (qui consiste à prier, jeûner, faire l'aumône) serait-elle donc une « mauvaise odeur » à cacher ? Il semble que oui, car Jésus nous demande de ne pas agir devant les hommes, ni de nous faire remarquer. L'amour vrai demeure caché, il ne se gonfle pas d'orgueil, ne fait pas du tapage, comme dit saint Paul dans son hymne à l'amour, dans la première épître aux Corinthiens (ch. 13).

Si nous allons recevoir des cendres, dans un instant, et pas du parfum, c'est parce que même nos bonnes œuvres doivent mourir pour aimer davantage. Tout doit se convertir en nous, même notre prière, notre jeûne, notre aumône. Nous ne savons pas vraiment donner, nous ne savons pas encore aimer comme il faudrait. Seigneur, apprends-nous, pendant ce temps de carême, à aimer davantage, à nous donner à toi et aux autres dans le secret du cœur, à vivre le deuil comme si c'était le jour des noces, à mourir pour la vie, et non à vivre pour mourir. Fais-nous revenir vers notre cœur, là où tu demeures et où tu peux aimer. Père, donne-nous d'aimer en profondeur, à partir de cet endroit où tu habites, depuis ce lieu caché, cette pièce la plus retirée de notre maison. Amen.

fr. Columba