32° Dimanche du TO*B Mc 12, 38-44

« Elle a tout donné, elle a tout jeté dans le Trésor » disent certaines traductions, tout ce qu'elle avait pour vivre. Cela veut-il dire qu'elle ne veut plus vivre ? Qu'elle ne peut plus vivre ou au contraire qu'elle espère tout en risquant tout ? Cela veut-il dire qu'elle a une foi aussi grande sinon plus que la veuve de Sarepta, comme nous l'avons lu dans la première lecture ?

Comme elle, elle aurait pu dire : « Je dépense mes deux piécettes, tout ce que j'ai pour vivre, puis je meurs… » Mais comme elle, elle va tout risquer, tout donner, et finalement tout espérer. Oui, en donnant tout, la veuve de l'Evangile permet à Dieu de tout lui donner. En donnant tout, elle peut alors tout recevoir, elle est en mesure de recevoir vraiment l'essentiel comme la veuve de Sarepta qui, en accueillant l'homme de Dieu, c'est Dieu même qu'elle accueille et la vie qui se maintient pour elle et son fils. Et que voir pour nous dans ce geste ? Une invitation à faire de même à notre mesure ? L'aviateur français Guynemer, héros de la première guerre mondiale, disait : « Quand on n'a pas tout donné, on n'a rien donné ». Personnellement, cette maxime si belle, m'a toujours dérangé, comme un impossible idéal, jusqu'à ce que je la comprenne un peu autrement par ce mot de Saint Vincent de Paul à qui, au soir de sa vie, l'on demandait ce qu'il aurait pu faire de plus : « Davantage » ! Le « tout donner », en apparence impossible, s'inscrirait alors dans le mouvement progressif de toute une vie où la tentation pourra être celle qui est dénoncée aujourd'hui dans l'Evangile, à savoir une suffisance se contentant d'apparences et de superflu, une suffisance rendant imperméable, empêchant de donner et surtout de recevoir et se recevoir dans une relation juste et ajustée à l'autre. Oui, pour chacun, le risque serait donc de s'emprisonner, se stériliser, se couper de toute relation de vie en prétendant se construire par soi-même et pour soi-même une apparence solennelle fondée notamment sur l'avoir, le pouvoir. Une imperméabilité à la relation dans laquelle aurait pu s'enfermer aussi la veuve de l'Evangile en se cramponnant sur ses deux piécettes et se durcissant dans l'amertume de sa condition.

Mais justement, par ce don ridicule pour le Temple elle va laisser place au véritable trésor en elle, en sa vie, une vie qui ne vaudrait en apparence que deux piécettes mais qui donnée, revêtira une incalculable valeur. Y verrait-on encore un appel à commencer, avant de donner quoique ce soit, par se désencombrer et lâcher prise de bien des fausses valeurs et autres idoles afin de mieux entrer dans ce mouvement progressif et permanent de don de soi, de sa vie, par lequel on va pouvoir laisser une place à l'autre et à Dieu ? En donnant alors un tant soit peu de soi-même, de ce qu'on a pour vivre, et non de ses apparences superflues, l'on peut permettre au Christ, comme le rappelle la lettre aux hébreux, d'entrer dans le sanctuaire qu'est le cœur de chacun d'entre nous et à se laisser travailler selon la volonté du Père qui lui-même a donné Jésus, « tout » ce qu'il avait pour vivre, et qui ne veut que notre salut par amour. La dernière encyclique du pape François nous inviterait bien à tout cela.

Oui, l'important pour chacun, par ce don créant un manque, un vide, ce serait bien de laisser se creuser en soi, dans sa vie, dans ce qu'on a pour vivre, un espace pour l'autre, le Tout Autre. Espace aussi petit soit-il qui permettra bien à l'Esprit d'ouvrir notre vie, ce que nous avons pour vivre, à des dimensions insoupçonnées, comme pour la veuve de Sarepta. Attendre alors le salut et déjà l'accueillir ne serait donc nullement incompatible avec le vide, ce « nada » d'un saint Jean de la Croix, nullement incompatible avec ces déserts et ces nuits que l'on pourra traverser mais où peu à peu, sans toujours bien s'en rendre compte, se creusera progressivement, se préparera petit à petit ce lieu, cet espace, cette place dès cette vie en vue de la rencontre finale. Accueil incessant de la vie du Ressuscité, en communion, en Eglise, que l'on devrait essayer de vivre en chaque eucharistie où Christ ne cesse de nous donner tout ce qu'il a pour vivre pour que nous vivions et soyons des vivants à la face du Dieu Vivant. Voilà donc quelque chose du secret de cette veuve qui, n'ayant plus rien à perdre, a tout à espérer et à accueillir de son Dieu vivant qui n'est pas le Dieu des morts mais des vivants ! 

Fr. Philippe-Joseph