18° Dimanche du TO*B Jn 6, 24-35

"Ne vous laissez pas guider par le néant de vos pensées" dit saint Paul aux Ephésiens. Travaillez pour la nourriture qui demeure dit Jésus à la foule. Un Jésus, patient pédagogue avec ces gens qui ont été abondamment nourris à partir des cinq pains et deux poissons d'un enfant ; ces gens dont certains doivent sans aucun doute connaître ces paroles de Dt 8, 3 qui les orienteraient vers une meilleure compréhension : l'homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils lui posent avec justesse la question de savoir ce qu'ils doivent faire pour travailler aux œuvres de Dieu sans saisir que Jésus leur donnera une réponse encore difficile à comprendre, à digérer !

Paradoxe d'un Christ doux et humble de cœur que les siens n'ont pas reconnu, que bien des gens ne reconnaissent pas, ne reconnaissent toujours pas. Paradoxe d'un Christ si incompris en une époque où tant de nos contemporains essayent pourtant d'étancher une soif inextinguible, d'apaiser une faim manifeste par toutes sortes d'expédients spirituels ou non et autres ersatz de paradis artificiels ou idéologiques. Mais en même temps ce serait peut-être trop facile et superficiel de leur dire platement, s'en s'y investir, que le chemin, la vérité, la vie, c'est Jésus, de les renvoyer sans s'en nourrir à un Christ perçu comme la solution à tout pour toutes et tous, à une caricature de Christ deus ex machina en quelque sorte, et pourtant à ce Christ auquel nous ne demanderions sans doute pas assez d'être rassasié, désaltéré, dont nous ne serions pas assez nourris pour nourrir à notre tour. Comment faire alors ? Remarquons d'abord que notre évangile du jour est précédé par le passage dit de la multiplication des pains avec le jeune homme qui a cinq pains et deux poissons, évangile qui se retrouve un peu différemment en saint Luc (9, 13) où Jésus, à dessein provocateur, conseille à ses disciples : donnez-leur vous-mêmes à manger ! Comment ? A partir de Jésus lui-même, encore et toujours efficient aujourd'hui : Moi Je Suis le pain de Vie, le pain qui donne la vie au monde. Pain dont nous devrions vraiment nous nourrir en toute conscience pour que cette vie se partage, se multiplie dans le monde, dans les cœurs, mieux, pour que cette vie se partage, que le pain soit fractionné pour le partage comme cela nous a si bien été expliqué dimanche dernier. Et pour le partager, oui, il faut d'abord s'en nourrir, en avoir faim de ce pain-là. Bonne occasion de se demander quelle est notre faim ou plutôt, de quoi avons-nous faim et de quoi nous nourrissons-nous finalement. Et d'abord, en avons-nous vraiment faim de ce pain-là ? Ne risquerions-nous pas de souffrir d'une forme d'anorexie dont nous pourrions ne pas prendre conscience, au risque de ne plus pouvoir rien partager ? Le risque inverse existe, que saint Paul suggère aujourd'hui, celui d'une boulimie de choses impondérables, inconsistantes qui encombrent et congestionnent plus qu'elles n'aident à vivre et à faire vivre. Notons que ces paroles véhémentes de Paul n'opposent pas deux ou plusieurs catégories de personnes en un manichéisme si en vogue actuellement mais bien des comportements entre ceux qualifiés de corrompus, menant au néant et ceux qu'il envisage pour les disciples travaillant donc aux œuvres de Dieu en un choix à refaire chaque jour à petites ou grandes enjambées dans la bonté, la justice, la vérité… fruits de l'Esprit à consommer sans retenue et surtout à cultiver, à partager pour permettre aux autres de se nourrir afin qu'eux-mêmes nourrissent aussi autrui. Le miracle se poursuit donc, celui du pain fractionné, partagé, de la parole de vie partagée dans l'humilité et la simplicité, Parole de Celui qui est la manne nouvelle, de Celui qui a dit : Je suis le pain de la vie… qui donne la vie au monde.

frère Philippe-Joseph