5° Dimanche de Pâques (A) Jn 14, 1-12

« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »[1] « Seigneur, montre nous le Père ; cela nous suffit. »[2]
Frères et sœurs, ces paroles, les apôtres Thomas et Philippe, les ont prononcées juste avant la Passion, dans un contexte d'extrême désarroi, alors qu'ils pressentaient bien l'échec, radical à vue humaine, de la carrière de ce Jésus en qui ils avaient mis tant d'espérance.

Or, il y a dans ces termes comme un écho à certaines des plus radicales de nos interrogations, tout particulièrement quand nous traversons des périodes de doute ou d'épreuve.

Car la foi est tout sauf une évidence, y compris pour nous qui vivons après l'événement de la Résurrection.

Ne nous arrive-t-il pas de dire face à la mort d'un proche :

«Nous ne savons même pas où il va», ne nous arrive-t-il pas de nous écrier, même intérieurement, face à la maladie, à la souffrance qui frappent aveuglément :

«Où es-tu Seigneur ? Montre-toi, Seigneur !»

Frères et sœurs n'ayons pas peur de ces questions qui peuvent surgir en nous ; les évangiles nous montrent que les disciples se les sont posées, et peut-être même Jésus lui-même quand sur la Croix il s'est écrié «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?»

«Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ?»[3]

La réponse de Jésus nous est donnée, comme aux disciples, à la fois simple et énigmatique :

«Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;

personne ne va vers le Père sans passer par moi»[4]

Il n'y a pas d'autre chemin dans la foi chrétienne pour voir le Père, c'est-à-dire voir, s'approcher de Dieu, que de contempler et de suivre Jésus Christ.

En son Fils Jésus, le Père, l'Inconnaissable, le Tout Autre a pris visage d'homme. Le Nazaréen a donné un visage à Celui dont l'Ancien Testament comme de nombreuses religions d'ailleurs affirmait qu'on ne pouvait le voir sans mourir.

En Jésus, le Tout Autre est devenu le tout proche.

«Moi, je suis le Chemin»

Comme à tâtons, nous cherchons une route qui trace un itinéraire parmi les mille incohérences de nos existences.

Chemin vers Dieu qui est, en même temps, chemin vers la vérité la plus profonde de notre vie.

Nous sommes ici, dans une région traversée par le chemin de saint Jacques de Compostelle ; de nombreux pèlerins le sillonnent, en mettant leurs pas dans les pas de ceux qui les ont précédés. N'est-ce pas, en fait, un chemin intérieur qu'ils aspirent à voir se dessiner dans leur vie.

Or, l'itinéraire de Jésus nous indique que ce chemin, n'est autre que celui d'une vie humble, libre et confiante. Un chemin où il s'est laissé conduire par l'Esprit Saint. Un chemin qui a fini par ouvrir une brèche dans la plus infranchissable, la plus radicale des multiples impasses d'une vie d'homme, celle de la mort.

«Je suis la Vérité»

Nous cherchons, et parfois nous doutons qu'il y ait une vérité.

Or, le Christ ne vient pas nous révéler une vérité abstraite.

Il ne vient pas non plus nous révéler une vérité qui se résumerait en quelques préceptes moraux.

Non, son itinéraire nous indique que la vérité a pris non seulement visage d'homme mais qu'elle a pris aussi cœur et chair d'homme.

D'un homme qui a eu la folie de croire que l'amour, amour du frère et amour de Dieu indissociablement liés, pouvait être l'unique règle de vie, de toute une vie.

Cette confiance, il l'a payée de sa vie mais l'amour de Celui qu'il appelait son Père lui a rendu cette vie, magnifiée, transfigurée, ressuscitée.

«Moi, je suis le Chemin, je suis la Vérité et enfin Je suis la Vie».

Ici, Jésus nous indique l'horizon du chemin, le lieu d'épanouissement de cette quête de vérité qui habite notre cœur. Le chemin ouvert par le Christ n'est pas un de ces chemins qui ne mènent nulle part.

Non, Dieu nous conduit sur un chemin de vie où il nous veut vivants, pleinement vivants.

Pas d'une petite existence rapetissée aux dimensions de nos bien courtes ambitions sociales, de nos désirs frileux de sécurité ou encore de nos frustrations mal assumées, tous ces ersatz de désirs qui finissent par faire de nos vies des vies de morts vivants.

Non, Dieu nous veut vivants à plein, pas à moitié.

Et vivants de sa propre vie :

«Je suis venu pour que le monde ait la vie et qu'il l'ait en abondance»[5]

«Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie»

Au cœur de cette parole, qui, pour nous, est Parole de Dieu, parole de Vie, il y a le cœur infiniment précieux, le cœur brûlant, le cœur pascal de notre foi chrétienne.

Et en même temps une invitation à suivre cet homme, à emprunter la route qu'il a ouverte.

Un chemin exigeant dont nous savons qu'il demande humilité, don de soi et attention amicale au plus petit.

Un chemin qui est aussi marqué par la Croix et ses conséquences mais un chemin dont la vie et l'enseignement de Jésus nous disent qu'il est fondamentalement un chemin de joie.

«Je suis le Chemin».

N'ayons pas peur d'emprunter ce chemin sur lequel nous ne sommes pas laissés seuls.

L'Esprit du Dieu vivant nous y précède et nous y accompagne.

«Je suis la Vérité»,

N'abandonnons pas la quête de la vérité qui habite, que nous le voulions ou non, le meilleur de notre cœur d'homme.

D'autant que cette vérité a pris le visage infiniment fraternel d'un jeune rabbi de Galilée.

«Je suis la Vie»,

Ne désespérons pas de la vie, envers et contre tant d'évidences humaines, souvent cruelles.

Notre foi pascale nous dit que la vie aura, en nous, le dernier mot, depuis qu'elle l'a eu au cœur de l'existence de Celui qui est, en même temps, le plus défiguré et le plus beau des enfants des hommes, Jésus Christ notre sauveur, le Ressuscité.

Amen !

Fr. Benoît-Marie

[1] Jn 14, 5.

[2] Jn 14, 8.

[3] Jn 14, 5.

[4] Jn 14, 6.

[5] Jn 10, 10.