31° Dimanche du TO*A Mt 23, 1-12

« Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé » nous dit le Seigneur. À partir de ce dernier verset, je voudrais vous partager une histoire  inspirée au cours d'une méditation, il y a quelques années.

Il était un homme puissant, un roi bien assis sur son trône. Et nul ne pouvait l'en déloger. Ce roi puissant était riche de multiples dons mais certainement pas de celui de l'humilité et de l'amour. Il était plein de prestance voire de superbe arrogante ou encore de condescendance méprisante pour les petits et les pauvres qui l'ennuyaient et dont la vie ne le préoccupait guère et le laissait indifférent. Sa superbe et sa magnificence n'avaient d'égal que son orgueil et sa vanité. Et pour couronner ce prestige, ce roi était jaloux, envieux de tout ce qui n'était pas ordonné à sa propre gloire. Il ne supportait pas qu'on puisse regarder ailleurs que vers lui, écouter autre que lui. Trop plein de lui-même et de son importance pleine de suffisance, il était idolâtre de toute sa personne. Il se prenait même pour un dieu. Certains l'appelaient le prince de la mort. En réalité, nul n'était dupe de ce personnage parmi la cour et le peuple, mais tout le monde faisait mine d'entrer dans son jeu malsain. C'était une question de survie, car bien entendu, ce roi était pervers, cruel et homicide. Il n'hésitait jamais selon sa volonté à mettre à mort quiconque professait la moindre parole, le moindre geste désobligeant à son égard.

Mais il était aussi un autre lieu tenu secret et caché, à l'extrême limite de ce royaume, dont ce roi ignorait l'existence. Ce lieu caché attirait bon nombre de personnes de la cour et du peuple. Cela se faisait dans le plus grand secret et la plus grande discrétion afin de préserver ce lieu mystérieux où chacun venait y puiser une liberté, une sagesse, une consolation, une espérance qui répondaient à chacun selon ses besoins et donnaient la force de supporter le roi méchant malgré tout. Riches, pauvres, savants, ignorants, croyants, sceptiques, saintes gens et bandits repentis, hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux, malades, biens-portant, de noble famille ou de basse extraction, gens de cour, gens du peuple... Les foules les plus diverses, les pécheurs de tout horizon chérissaient ce lieu dans leur cœur et risquaient alors leur vie.

Car là aussi, dans ce lieu à l'extrême limite de ce royaume, il était un homme puissant, un roi, lui aussi, bien assis non sur un trône mais en lui-même de telle sorte que tout siège, tout endroit où il s'asseyait devenait par une grâce ineffable un trône de gloire. Ce roi était riche de multiples dons et même de tous les dons mais il savait bien qu'il ne l'était que par son Père qui est aux cieux. Sa puissance était totalement étrangère et même contraire à celle du prince de la mort.

D'ailleurs, sa  puissance de vie unique et prodigieuse se déployait, se diffusait par lui, avec lui et en lui. À partir de ce qu'il était, il transformait celles et ceux qui, dans la foi, s'approchaient de lui pour manger son pain et boire son vin. Un regard, un sourire, un geste, un toucher, une écoute, une correction, une consolation, une larme, un rire, un silence, une prière, son corps, son sang suffisaient à soulager toute faim, à guérir toute âme, à toucher le plus dur, le plus incrédule des cœurs.

De cette puissance émanait une force inébranlable d'amour, de bonté, de beauté, de vérité, d'humilité et de liberté. Il n'avait, en réalité,  pas d'autre pouvoir que d'être maître de lui-même, pas d'autre pouvoir que de vivre en communion avec son Père, Celui dont il se savait le Fils de toute éternité. On l'appelait le Prince de la vie. Certains avaient même cette folie de croire qu'il était Dieu fait homme, né d'une vierge nommée Marie par l'action de l'Esprit-Saint. Il avait reçu le nom de Jésus.

Une nuit, quelqu'un, on ne sait qui, ni pourquoi, ni comment révéla ce lieu mystérieux plein de lumière et rompit le secret. Et le roi idolâtre de lui-même apprit qu'existait quelque part un autre roi que lui. Alors, il entra dans une fureur sans nom, dans une colère meurtrière dont beaucoup furent victimes.

Cependant, tout le monde restait calme sans  même chercher à échapper à cette folie tyrannique, sans même manifester la moindre crainte. Puis, le roi mauvais convoqua une garde avec ordre de lui amener ce soi-disant roi bon et humble car il montrerait à tous et dans tout son royaume  qu'il était l'unique, le seul et le vrai roi. Il ne doutait absolument pas qu'il renverserait ce puissant de son trône et l'engloutirait à jamais dans son pouvoir de mort ; qu'il s'élèverait en l'abaissant.

Le bon roi accueillit la garde avec paix et joie, sans crainte. Il se mit en toute confiance sous ses ordres selon le commandement du mauvais roi et fut conduit à sa rencontre. Le jour de l'audience publique fut fixée pour que personne ne manqua à cette confrontation ultime. Le bon roi vêtu de guenilles, moqué, raillé, bafoué par la garde fut présenté debout au mauvais roi.

 Mais ces atteintes à sa dignité ne le troublaient nullement. Aucune crainte, aucune peur n'altérait son être. Il rayonnait la bonté, la paix, la joie. Le mauvais roi,  dominant de toute sa hauteur, était debout lui aussi, vêtu des vêtements les plus somptueux, agrémentés de bijoux, de pierres les plus précieuses, les plus magnifiques, les plus rares. Mais son être rayonnait d'une richesse inique et maléfique.

À la fin de la confrontation le bon roi toujours face à lui, le mauvais roi imbu de son pouvoir qu'il croyait avoir démontré pendant cette audience lui dit : « Maintenant que tu sais qui je suis et que j'ai pouvoir de te détruire. Je t'ordonne de t'abaisser devant moi et de reconnaître que je suis le seul, l'unique, le vrai roi de ce royaume. »

 Alors, tout le monde vit le corps du bon roi gardant la tête droite s'abaisser devant le mauvais roi qui inclinait la sienne pour regarder cet abaissement et jouir de cette humiliation qu'il croyait infliger. Tout à coup, le corps en bas, le bon roi calme, serein, lumineux leva la tête vers le haut pour regarder la tête du mauvais roi inclinée vers lui en bas et lui posa cette question : 

« Ô, roi, qui domine qui ? Est-ce le corps qui dirige et domine la tête ou l'inverse ? »

Le roi mauvais répondit en riant : « La tête bien sûr. »

 Le bon roi lui dit alors :

 « Ô roi sans intelligence et lent à comprendre. Toi qui est au-dessus de moi, ta tête est baissée, inclinée vers moi. Moi qui suis au-dessous de toi, ma tête est levée, élevée vers toi. Finalement, qui domine qui? La tête baissée par l' orgueil et qui s'incline ou la tête levée par l'humilité et qui s'élève? »

Alors, soudainement, dans un grand fracas de cris et de hurlements, une angoisse terrible et insoutenable saisit le mauvais roi qui s'effondra, s'anéantit en lui-même ainsi que tous ceux qui lui appartenaient pour disparaître à jamais comme par enchantement. La Mort, le dernier ennemi, fut anéantie et mise sous les pieds du Fils selon la volonté du Père dans la force de l'Esprit.  Alors, tous ceux qui appartenaient au bon roi depuis la fondation du monde furent élevés au ciel avec lui.

Fr. Nathanaël