5° Dimanche de Carême (C) Jn 8, 1-11

C'est la seule fois de tout l'Évangile où l'on voit Jésus écrire.

Il s'est courbé, accroupi, il écrit sur le sol, sur la terre. Sous les yeux d'une foule de gens : d'un côté la meute des accusateurs, et de l'autre, une femme hagarde qui n'en mène pas large…

Peut-être Jésus a-t-il voulu nous montrer comment Dieu écrivait dans son grand Livre.

« Le bien qu'on te fait, écris-le sur la pierre.
Le mal qu'on te fait, écris-le sur le sable. »

Alors, parce que Jésus a très mal, il écrit sur le sable.

Jésus a mal à cette femme.

Il a mal à l'amant de cette femme, qui n'est même pas là pour la défendre, qui est resté planqué quelque part.

Il a mal au mari trompé, qui n'ose même pas venir lui parler en face.

Alors, les hommes… c'était quoi, votre amour pour cette femme, c'est déjà fini ? Jésus a mal à l'amour humain.

Il a mal à cette horde de justiciers trouillards et vindicatifs, qui hurlent avec les loups, cette meute abjecte prête au lynchage et qui se réclame de la Loi, qui prétend faire justice au nom de Dieu ! Jésus a le ventre qui se tord. Jésus a mal au peuple de Dieu.

Il prie.

« Rappelle-toi, mon Père, au désert tu leur avais donné la Loi. Et comme c'était un grand bien, tu l'avais écrite de ton doigt sur des tables de pierre. Mais presque aussitôt, quand Moïse est descendu de la montagne, quand il a vu ce qu'avait fait ton peuple, quand il a vu le veau d'or, il a brisé les pierres au pied de la montagne… Peine perdue que de vouloir donner l'amour à des fêtards écervelés qui ne connaissent pas Dieu !

Après, bien plus tard, ils ont reconnu que c'était un grand bien : alors Moïse a écrit cette Loi sur deux tables de pierre, une deuxième fois. Ça rate au début, mais tu donnes toujours une deuxième chance, une deuxième Loi, un Deutéronome. Cette fois, la Loi est devenue leur trésor et leur bien, leur fierté. Ils sont devenus si fiers et si forts de cela qu'aujourd'hui, ils ont ces pierres bien en main, et ils veulent les lancer pour tuer, lapider cette femme ! »

« Le bien qu'on te fait, écris-le sur la pierre. Le mal qu'on te fait, écris-le sur le sable. »

Jésus écrit sur la terre, en hébreu la adamah, le terreau dont Dieu a façonné l'adam, l'humus dont il a tiré l'humain.

« Rappelle-toi, mon Père, ce grand bien que tu fis aux humains ! L'adam, l'humain, tu l'as créé 'mâle et femelle', sexué : blessé dans sa chair du besoin de l'autre, du désir de l'autre. Un immense bien qui fait mal parfois, qui fait mal souvent. Tu savais bien qu'ils pourraient se faire du mal avec ce grand bien, non ? Regarde-les : la première, on l'a traînée ici par les cheveux. Et l'autre s'est caché, il a peur parce qu'il est nu. Et le troisième a jeté l'éponge, terré dans sa fierté offensée. Et tous ceux-là finalement vont partir, la queue basse, parce que, de fait, ils savent eux aussi qu'ils sont blessés, comme tout le monde…

Cette grande bonne blessure que tu as donnée à tous les humains, apprends-leur à la soigner, à en prendre soin, à se la pardonner, à soi-même et aux autres. Et donne à ton Église un cœur de chair, pas des règles de pierre, pas des discours en silex, un vrai cœur plein de tendresse comme le tien.

Mon Père, n'oublie pas la deuxième chance, la nouvelle alliance, n'oublie pas pourquoi tu m'as envoyé ! Tu es capable de faire toute chose nouvelle, tu peux tout recréer. »

À force d'écrire, de gratter la terre en griffonnant, Jésus a dégagé une petite pierre, bien plate. Il la prend dans ses doigts. Il la serre dans sa paume. Jésus attend. Il attend que le Père réponde à sa prière. Il écoute au fond de son cœur de chair, en regardant la petite pierre plate. Il voudrait écrire dessus un bien, un nouveau grand bien, une nouvelle Loi plus puissante que l'autre ? un nouveau désir plus profond que l'autre au cœur des hommes ? Il écrira ce que le Père lui dira.

Il trace un signe, presque rien : oh ! ça ne ressemble à rien, à la lettre tau peut-être, à une croix…

frère David