Toussaint Mt 5, 1-12a

Frères et sœurs, il y a quelques années, j'ai rencontré un prêtre qui m'a confié que depuis son ordination, il vivait dans ce qu'il appelait lui-même, « un grand vide ». Il prêchait chaque jour la Parole de Dieu, mais au fond de son cœur, il ne croyait pas vraiment à ce qu'il disait. Et cela lui faisait souffrir. Puis un jour, un ami qui a été curé dans un pays du Sud, lui a proposé de passer quelques semaines chez lui, dans un bidonville très pauvre. Et là, un jour, au milieu des gens démunies qui n'avaient presque rien, des familles qui vivaient dans la misère, quelque chose s'est brisé en lui. Il a vu des mères qui partageaient leur dernier morceau de pain en souriant, des hommes qui priaient avec une foi ardente malgré leurs épreuves, des enfants qui rayonnaient de joie en jouant avec des boîtes de conserve imitant les voitures et des bouteilles plastiques faisant pour les poupées. Il a alors compris : ces pauvres possédaient ce qui lui manquait. Ils connaissaient Dieu comme une Personne vivante, pas comme une idée, comme une doctrine ou un devoir moral. Ce jour-là, il est né de nouveau.

Cette histoire éclaire les Béatitudes que nous venons d'entendre. Remarquons tout d'abord que Jésus ne dit pas : « Heureux ceux qui ont tout compris », « Heureux les parfaits », « Heureux ceux qui n'ont jamais chuté ». Non. Il dit : « Heureux les pauvres de cœur, heureux ceux qui pleurent, heureux les affamés de justice ». En d'autres termes : heureux ceux qui savent qu'ils sont démunis, blessés, incomplets, qu'ils ont besoin de Dieu.

C'est là le grand paradoxe des Béatitudes. Tant que nous nous croyons riches, forts, autosuffisants, nous n'avons pas besoin de Dieu. Nous sommes comme une maison tellement remplie de nos propres affaires qu'il n'y a plus de place pour accueillir un invité. Mais quand nous reconnaissons et acceptons notre pauvreté, quand nous cessons de prétendre être invincibles, alors une porte s'ouvre. Et c'est par cette porte que Dieu entre.

Les saints l'ont compris. Ils ne sont pas devenus saints parce qu'ils étaient extraordinaires, mais parce qu'ils ont accepté d'être ordinaires. Parce qu'ils ont osé dire : « Seigneur, je suis pauvre et fragile ici, dans ce domaine, mais tu peux tout transformer. » Et Dieu a fait des merveilles avec leur pauvreté. Pensons à saint Pierre qui a renié Jésus trois fois, à saint Paul qui a persécuté les chrétiens, à saint Augustin qui a vécu dans la débauche, à sainte Thérèse de Lisieux qui a connu l'obscurité spirituelle et le doute, à saint Ignace de Loyola, soldat orgueilleux blessé au combat. Aucun d'eux n'était parfait au départ. Mais tous ont découvert que la sainteté commence quand on cesse de se cacher, quand on accepte sa vulnérabilité, son insuffisance, son besoin du Christ.

Aujourd'hui, Jésus nous invite à emprunter ce même chemin. Non pas demain, quand nous serons meilleurs, ni dans un an, quand nous aurons enfin résolu nos problèmes, mais maintenant, tels que nous sommes, avec nos faiblesses, nos chutes, nos contradictions.

Car voici la Bonne Nouvelle : Dieu n'attend pas que nous soyons parfaits pour nous aimer. Il nous aime MAINTENANT, et c'est cet amour qui va nous transformer. C'est la foi en cet amour gratuit et inconditionnel accueilli dans notre pauvreté qui va changer notre vie.

Frères et sœurs, les Béatitudes ne sont pas une liste de conditions à remplir pour mériter le Royaume. Ce sont les signes que le Royaume est déjà en train de germer en nous. Quand nous acceptons notre pauvreté intérieure sans nous accrocher à nos richesses, nos certitudes ou notre image, c'est que nous faisons de la place à Dieu, c'est-à-dire au bonheur. Quand nous pleurons sur nos péchés et sur le mal du monde, c'est que nous ne sommes pas indifférents, c'est que nous avons un cœur vivant. Quand nous choisissons la douceur dans un monde de violence, c'est que l'Esprit de Dieu nous travaille de l'intérieur.

Frères et sœurs, ce prêtre dont je vous ai parlé au début, le jour où il est entré dans ce bidonville pauvre, il a fait exactement ce que Jésus nous demande dans les Béatitudes : il a cessé de faire semblant, il a accepté sa propre pauvreté en voyant celle des autres, il a ouvert la porte. Et c'est là, dans cette brèche d'humilité, que Dieu est entré pour le faire renaître. Les pauvres lui ont révélé ce qu'aucun livre de théologie ne pouvait lui apprendre : que Dieu se donne à ceux qui n'ont rien à lui offrir en retour, sauf leur cœur ouvert.

Aujourd'hui, en cette fête de tous les saints, osons faire ce même pas. Osons dire à Dieu : « Me voici, tel que je suis. » Osons ouvrir cette porte, même si ce n'est qu'une fente. Et laissons-le entrer pour faire son œuvre en nous. Car c'est ainsi que naissent les saints : non pas dans la perfection, mais dans l'abandon confiant entre les mains du Père.

fr. Maximilien