Jeudi Saint Jn 13, 1-15

Frères et sœurs, imaginez un pain tout juste sorti du four. Il est chaud, sa croûte est dorée, son parfum emplit la maison. Il donne envie de s'asseoir, de couper le pain, le goûter, le partager… Imaginez maintenant que vous laissiez ce pain de côté, que vous l'oubliiez sur une étagère, dans un coin. Deux semaines plus tard, ce pain est devenu dur, sec, sans vie. Il a perdu sa capacité à nourrir.

Ce soir, frères et sœurs, nous sommes appelés à revenir au pain encore chaud. Ce pain chaud, c'est le Christ, notre Dieu. Ce n'est pas un Dieu froid, lointain et sec, pas une vérité impersonnelle, un rite sans vie, mais un Dieu vivant, brûlant d'amour du Père, un Dieu qui se donne à manger, un Dieu proche. Et pourtant, il arrive que nous le laissions de côté, que nous l'oubliions dans les étagères de notre quotidien. Alors notre cœur se refroidit, et notre relation avec Dieu devient elle aussi, comme ce pain, plus dure, plus sèche.

Dans la première lecture, nous avons entendu le récit des prescriptions données à Moïse et Aaron, avant la libération d'Égypte (Ex 12). Dieu institue un repas de mémoire : le repas pascal qui commémore la libération d'Égypte. Dieu lie la mémoire, l'histoire, le souvenir, au repas. Ce n'est donc pas un simple récit de libération à écouter, c'est une libération à goûter, une mémoire à vivre dans son corps, dans ses sens. Durant ce repas pascal, les Israélites mangent les herbes amères pour goûter l'amertume de l'esclavage, le pain sans levain pour se rappeler la hâte du départ, ils boivent du vin pour prendre conscience de la dignité royale retrouvée de ceux qui étaient esclaves. La mémoire passe par le corps, par les sens, car Dieu ne veut pas que cette histoire de libération soit seulement entendue, mais qu'elle soit incarnée. Il ne veut pas qu'elle soit juste un souvenir d'un passé lointain, mais qu'elle devienne actuelle, ici et maintenant, pour celui qui mange et boit, pour sa vie. Ce repas pascal non seulement commémore des évènements d'autrefois, mais il invite les convives à passer de l'esclavage à la liberté dans leurs vies.

C'est durant ce repas pascal que Jésus a dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps... Prenez et buvez, ceci est mon sang ». Jésus inscrit l'histoire de notre salut, de notre libération par son amour, sa miséricorde, son enseignement, sa Croix et sa Résurrection dans un repas, le repas pascal, l'Eucharistie. Manger le corps du Christ, boire le sang du Christ, c'est assimiler, absorber l'histoire de la libération offerte par Jésus dans nos corps, dans nos vies, pour que cette liberté divine soit vraiment en nous. L'Eucharistie est un repas des hommes en libération.

Ce soir nous fêtons tout particulièrement cette liberté que le Christ nous a donnée et la manière dont il l'a accomplie : en devenant lui-même esclave, en se mettant à genoux devant ses disciples et en leur lavant les pieds, en prenant la place du serviteur, en mourant sur une croix, comme un esclave, pour que nous vivions comme des enfants de Dieu.

La Cène que nous célébrons aujourd'hui, comme le repas pascal, nous pose cette question : suis-je libre aujourd'hui ? Pas hier. Pas il y a dix ans. Aujourd'hui. Maintenant. Suis-je libre ? Ou suis-je encore lié par une peur, une rancune, une blessure, un pardon non donné ? On peut, en effet, être sorti d'Égypte, et pourtant porter encore l'Égypte en soi.

Alors, ce soir, le Christ nous invite à prendre la route, à vivre notre propre exode, notre propre libération. Et pour cette route, il nous donne un pain tout juste sorti du feu, Lui-même. Il est chaud de la tendresse du Père. Il est parfumé des dons de l'Esprit. Il est pain de route, pain de vie, pain de feu. Ne le laissons pas refroidir. Ne l'oublions pas. Recevons-le et vivons de lui. Et chaque fois que nous servons, que nous aimons, chaque fois que nous nous laissons rompre pour les autres comme ce pain, alors ce pain reste chaud, il embaume la maison de nos vies de sa présence et nous rend plus libres.

f. Maximilien