Bénédiction abbatiale de P. Maximilien Lc 5, 1-11
Chers frères et sœurs,
Nous venons d'entendre le récit des Actes de Apôtres qui nous donnent la vie de la première communauté chrétienne. Mais vous avez remarqué que cette communauté apparaît comme idéale. Et au fond, vous pouvez mesurer, chers frères moines l'écart qui vous sépare de la communauté qui nous est présentée. L'idéal de cette première communauté se rapproche des paroles du psaume : « Voici qu'il est agréable, qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble et d'être unis » Ps 133, 1).
Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, au premier abord, il ne va pas de soi, pour un chrétien, qu'il puisse vivre parmi d'autres chrétiens. Et vous ici, chers frères moines, il ne va pas de soi que vous puissiez vivre parmi les autres moines. Pourquoi ? Parce que Jésus-Christ lui-même a vécu au milieu de ses ennemis. Finalement, tous ses disciples l'ont abandonné. Sur la croix, il s'est retrouvé seul, entouré de malfaiteurs.
De même, le cadre de la vie du chrétien, et singulièrement le cadre de votre vie, chers frères moines, n'est pas la solitude d'un cloître, mais le camp même des ennemis. Tous les beaux discours que nous pouvons tenir sur « l'altérité » finissent par se fracasser sur une « altération », comme il n'y a pas la vie de Jésus sans la croix. Il n'y a pas d'altérité sans altération et c'est là votre tâche, votre travail. Refuser ce fait pour votre communauté chrétienne, ce serait vouloir passer votre vie entourée d'amis, assis parmi les roses et les lis, loin des méchants, dans un cercle de gens pieux.
En fait, vous mes frères moines, si vous avez la prétention des vivre avec vos frères dans une communauté visible sur la terre, ce n'est en fait que par une sorte d'anticipation miséricordieuse du Royaume à venir. L'avant dernier chapitre de Lumen Gentium caractérise bien votre vocation spécifiquement religieuse comme ce charisme que l'Esprit Saint vous a donné à votre batême pour manifester dès maintenant le Royaume de Dieu à venir.
Ce n'est donc pas votre organisation actuelle, ni l'élection de votre nouveau Père Abbé Maximilien, ni même l'ancienneté et la longévité des communautés monastiques qui ont été inspirées par Saint Benoît au cours des âges, et dont vous êtes les héritiers, qui garantissent la solidité de votre communauté.
C'est Dieu qui dans sa grâce, permet l'existence dans le monde, et ici dans le Tarn, de votre communauté, réunie autour de la Parole et des Sacrements. Vous devez être conscients que cette grâce n'est pas accessible à tous les croyants. Pour fréquenter des prisonniers, des malades, des personnes isolées, mais aussi des chrétiens qui vivent leur foi seuls dans le monde, comme Saint Charles de Foucauld a vécu seul sa foi, nous savons que l'existence d'une communauté visible est une grâce pour eux.
Frères moines, avant de penser à vous, souvenez-vous toujours que la prière des isolés est celle du psalmiste : « Je me rappelle avec effusion de cœur quand je marchais entouré de la foule et que je m'avançais à sa tête vers la maison de Dieu, au milieu des cris et des actions de grâce d'une multitude en fête » (Ps 42, 5).
Alors attention, cette grâce de la communauté, qui fait rêver toutes celles et ceux qui vous fréquentent de l'extérieur, et qui fait rêver l'isolé qui considère votre vie comme un privilège, cette grâce de la communauté peut facilement être dédaignée et foulée aux pieds par vous.
Si vous pouvez être des frères en communauté, c'est uniquement par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, et en Jésus-Christ.
C'est pourquoi, à l'avènement de votre nouveau Père Abbé Maximilien, ne craignez pas la déception qu'inévitablement votre communauté, a déjà éprouvé et éprouvera encore, en continuant de prendre conscience de toute vos tares. C'est à ce prix que vous pouvez commencer d'être la communauté que Dieu veut et saisir par la foi la promesse qui vous est faite. C'est ce que souhaitait Dietrich Bonhoeffer nous souhaitant d'être déçus par la communauté le plus tôt possible. Dieu ne vous donne pas la communauté pour que vous mesuriez continuellement sa température. Dieu vous donne la communauté pour que vous l'en remerciez chaque jour. C'est dans la mesure où vous saurez remercier Dieu de ce qu'il vous donne et non pas celle ce dont vous rêviez, que votre communauté deviendra de jour en jour plus forte et plus nombreuse selon le bon plaisir de notre Seigneur.
« Qu'il est agréable, qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble, bien unis ». En ce jour de fête, lorsque vous chanterez les paroles de ce psaume, entendez « pour des frères de demeurer ensemble et d'être bien unis » et de rajouter : « d'être unis par Jésus-Christ ». Ce n'est pas d'abord la règle qui vous unit, c'est Jésus-Christ qui est le seul lien qui vous unit dont la règle est le reflet. « Il est votre paix ». C'est par Jésus-Christ que vous avez accès les uns aux autres et ainsi, vous pouvez vous réjouir ensemble, dans la joie, de la communauté que vous formez.
Ainsi, que le Seigneur vous donne des moines, beaucoup de moines, beaucoup de saints moines.
AMEN.
Mgr Jean-Louis Balsa
Archevêque d'Albi