2° Dimanche de Pâques ou de la Divine Miséricorde (C) Jn 20, 19-31
Chaque dimanche qui suit Pâques, l'Église nous offre ce récit. Ce peut être une joie – une joie profonde – de le retrouver chaque année, comme un événement attendu, comme un rendez-vous préparé. Car cet Évangile est d'une telle richesse, d'une telle force, qu'il peut nous parler chaque année d'une manière ... inattendue.
Laissons-nous guider par la phrase : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Dernière phrase du récit, dernière phrase de Jésus dans l'Évangile primitif de Jean, juste avant la conclusion, car le chapitre 21 est un ajout. Donc, ce dernier récit de l'Évangile de Jean et la dernière phrase de Jésus ont un poids tout particulier.
Qui est Thomas ? C'est un type généreux : n'avait-il pas dit spontanément, lors du retour à la vie de Lazare : allons avec Jésus pour mourir avec Lui (Jn 11, 16) ! Il est généreux et il ne faut pas lui en conter : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment savoir le chemin » (Jn 14, 5) ? D'où sa réaction dans notre récit !
Thomas n'était donc pas un tiède qui eût l'impudence de douter. « ô le mauvais Apôtre » criions-nous au catéchisme ; pensez-donc, si nous avions été à sa place ... douce innocence ! Thomas ose dire ce qu'il pense et Jésus semble aimer cela. Saint Ambroise commente : c'est un bon désir, ce n'est pas la foi parfaite, mais c'est la foi qui cherche à s'accroître. Pour preuve, Jésus ne le rabroue pas ; il ne dit pas : Thomas viens ici ! Qu'est-ce que tu as dit ? Mets ta main dans mon côté, tu verras bien ! Jésus pousse la délicatesse jusqu'à reprendre, jusqu'à citer toutes les paroles de Thomas aux Apôtres. C'est dire qu'Il prend en compte intégralement la souffrance, les doutes, le désarroi de Thomas.
D'ailleurs Thomas ne demande pas un miracle, un grand fait extérieur. Il demande seulement de toucher Jésus Ressuscité ; pour être sûr que ce soit le Maître qu'il aime et dont il a partagé la vie et les enseignements.
Et Jésus accepte, Lui qui avait dit huit jours avant à marie-madeleine : « ne me touche pas ! ». France Quéré – théologienne protestante – éclaire bien la raison de cette différence. Thomas veut toucher pour croire ; mais marie-madeleine croit et c'est pourquoi elle veut toucher. C'est parce qu'elle croit que Jésus refuse qu'elle Le touche ; mais Il y consent pour Thomas qui ne croit pas. Rappelons-nous Saint Ambroise : c'est la foi qui cherche à s'accroître.
Saint Grégoire le Grand ajoute : l'incrédulité de Thomas est très utile à notre foi. Il écrit : Marie-Madeleine, qui a cru plus vite, a été moins utile à notre foi que Thomas, qui a douté longtemps. Donc, merci à Thomas !
D'ailleurs, Thomas a-t-il touché Jésus ou non ? L'Évangile n'en parle pas et Jésus dit : parce que tu m'as vu tu crois ; il ne dit pas parce que tu m'as touché ! En tous cas, Jésus accepte de se laisse toucher, Lui qui avait touché tant de malades. Il accepte de se laisser toucher comme par la pécheresse chez Simon le pharisien.
Et Thomas s'écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». C'est l'expression la plus forte de la divinité du Christ de tout l'Évangile de Jean ; elle renvoie au prologue : « le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu ». Rappelons-nous que nous sommes à la fin de l'Évangile primitif de Jean, et qui renvoie à son début.
Et c'est là, à ce sommet, que tombe la phrase finale : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » et a fortiori, sans avoir touché le Ressuscité.
Il y a donc un crescendo dans ce récit que nous pouvons reconstruire ainsi.
Thomas, quelques semaines avant, voulait mourir avec le Christ ; il voulait aller jusqu'au bout avec lui. C'est ce que Jésus lui propose, maintenant. Thomas dit : je croirais si et si et si. Jésus ne lui dit pas : laisse tomber tes si ; il dit : vas-y, touche-moi. Thomas crie sa joie de Le savoir ressuscité, soit à la seule proposition de Jésus, soit en Le touchant. Et c'est là que Jésus fait très fort en disant : heureux ceux qui croient sans même avoir vu ! C'est-à-dire, vous et moi !
Alors, frères et sœurs, osons emprunter le chemin de Thomas dans une foi qui cherche à s'accroître. Retenons, peut-être, cette phrase d'une animatrice en pastorale : « au lieu de croire en ton doute et de douter de ta foi, doute de ton doute et crois en ta foi ». Il y a là un soupçon et demi de volontarisme ... mais pourquoi pas !
Plus profondément, empruntons le chemin spirituel d'Élie Wiesel, rescapé d'Auschwitz, qui s'est battu avec Dieu et avec la question : que faisait Dieu à Auschwitz. Il écrit : ma colère contre Dieu, mon doute, se sont toujours élevés à l'intérieur de la foi.
Eugène Viollet-le-Duc, restaurateur de la Cathédrale de Paris, s'était fait représenter en saint Thomas – patron des architectes – sur la flèche maintenant restaurée à l'identique. Avec cette devise : « Non amplius dubito » (« je ne doute plus »).
Et nous ?
F. Jean-Jacques