1° Dimanche de Carême (C) Lc 4, 1-13

Joyeux Carême !
Oui, frères et sœurs, le Carême est une montée vers la joie, celle de Pâques. Le mot pénitence n'est pas synonyme de macérations, de « petits sacrifices», mais de conversion ... Il vient d'un terme qui signifie : «se repentir»
Précisément les cendres nous rappellent le triste visage que nous faisons lorsque nous oublions les chemins de l'Évangile.
Or, nous sommes nés pour la joie.
Remettons-nous donc en route !
Nous avons quarante jours pour redécouvrir non pas des joies de pacotille, mais celle de Pâques. En effet, l'alléluia pascal nous fera entendre une tout autre mélodie que celle des fanfares et des orchestres de tout genre.
Soufflons sur les cendres, il est encore temps de ressusciter le feu divin qui couve en nous ... 


Qui oserait le nier, il s'établit dans notre monde, dans nos sociétés un indéfinissable malaise alimenté par une situation internationale des plus critiques. 
De nombreux analystes sérieux et compétents n'hésitent pas à affirmer que nous allons droit dans le mur.
Les autorités spirituelles et morales ne cessent de nous interpeller, et nous continuons sans sourciller notre petit train de vie dans une insouciance voire une inconscience déconcertante.
Ne serait-ce pas toute notre société qui est invitée à entrer en Carême et à se poser la question de son avenir ?
Où allons-nous ?
Ne sommes-nous pas trop occupés à passer à côté de l'essentiel ?
Chrétiens ou non, croyants ou non, nous faisons partie de cette société désorientée et, malgré tout, nous en sommes complices.
N'est-il pas plus qu'urgent de nous arrêter un peu ?
Frères et sœurs, le Carême est précisément un temps de lucidité, de prise de distance pour revenir aux questions vitales :
Qu'est-ce que je fais de ma vie ?
Sur quoi suis-je occupé à la bâtir ?
Oui, l'aridité, la nudité du désert nous recentrent sur l'essentiel.


C'est l'Esprit saint qui conduit Jésus au désert.
Il veut lui faire entendre sa voix, non pas celle des évidences communes, mais celle de Dieu, le Père.
Précisément, le Christ va prendre le temps de faire le tri entre tous les appels qui lui parviennent.
Il y a la voix du démon, du mauvais esprit, qui reprend celle des foules qui veulent du pain, qui veulent un roi et qui veulent des miracles.
Jésus entendra celle de l'Esprit Saint qui l'invite à l'écoute attentive de la Parole de Dieu, au service des autres et à une foi respectueuse de Dieu.
Or, frères et sœurs, ces trois tentations de Jésus ne sont-elles pas également les nôtres.
Reprenons-les.


* «Ordonne à cette pierre de devenir du pain.»
C'est la tentation de baser toute notre existence sur le matériel.
Nous sommes devenus des consommateurs.
Certes, beaucoup n'ont pas encore le minimum vital, mais notre société a pris un rythme dit de croissance sans s'inquiéter ni de l'épuisement de la planète, ni de l'appauvrissement de nos relations, ni de notre vide intérieur grandissant.
Il y a un trop-plein, un excédent de bagages ...
Frères et sœurs, ne faudrait-il pas retrouver une certaine modération ? L'Évangile ne cesse de nous y inviter, mais nous sommes sourds. Et l'urgence écologique nous le clame. «L'homme ne vit pas seulement de pain»
Le Carême nous propose un antidote : le jeûne.
Il s'agit de se désencombrer de tout ce qui, finalement, nous empêche de vivre en vérité.
La nourriture est un de ces domaines où nous pouvons nous exercer. «Durant le Carême, quitte toujours la table avec une petite faim», suggérait, il y a plusieurs années déjà, le cardinal Jean-Marie Lustiger.
La question est urgente :
n'ai-je pas investi tout mon désir de vivre dans des choses superficielles, dans des biens périssables ?
Notre point d'appui n'est-il pas uniquement matériel ? 


* Vient ensuite la tentation du pouvoir :
«si tu te prosternes devant moi», si tu acceptes de pactiser avec le mal, si tu es prêt à n'importe quoi pour régner, pour dominer, pour te mettre au centre de tout. 
Frères et sœurs, c'est toute la question politique qui se profile ici, mais également celle de nos relations, car nous avons tous une petite parcelle de pouvoir : sommes-nous respectueux de la liberté des autres ?
Ne sommes-nous pas enclins à manipuler notre entourage, à tout faire pour évincer ceux et celles qui nous gênent ? 
Ici, l'antidote sera l'aumône, au sens large du terme :
donner de soi-même, de son temps, de son nécessaire.
Aimer, en effet, n'est-ce pas faire de la place à l'autre,
ne pas occuper tout le terrain.
Rappelons-nous, Jésus, lui, le soir du Jeudi saint, se fera tout simplement serviteur, lavant les pieds de ses disciples. 


* Enfin, voilà Jésus au sommet du Temple.
«Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre.»
Tout faire pour ne pas souffrir, et même sommer Dieu.
Oh ! Evidemment, la souffrance n'est pas un bien.
Nous en sommes persuadés et nous ne le répèterons jamais assez.
Le Seigneur ne désire pas la souffrance de quiconque.
Cependant, il y a aujourd'hui une obsession de la non-souffrance, un désir de couler des jours tranquilles et de vivre décontracté et sans aucune contrainte.
Sommes-nous prêts à prendre des risques et à faire des choix qui pourraient nous blesser quelque peu ? 
Le Seigneur Dieu n'est pas une assurance tous-risques.
En refusant de presser Dieu d'intervenir de manière quelque peu magique pour lui épargner la souffrance, Jésus accepte déjà la croix.
Or, ce qui lui permettra d'aller jusqu'au bout de sa mission, ce sera, précisément, sa relation intime avec Dieu son Père, dans la prière.
Sur la croix, il pourra s'écrier :
«Père, entre tes mains, je remets mon esprit.» 


Frères et sœurs, durant le Carême la prière est essentielle.
Elle est mise à l'écoute d'une autre voix que la nôtre.
Elle est le lieu où nous tissons des liens avec Celui qui est notre véritable force pour traverser les épreuves sans compromission ni lâcheté.
Il était une fois un enfant qui s'épuisait à vouloir déplacer une très grosse pierre.
«As-tu vraiment utilisé toutes tes forces ? lui demanda son père. - Oui, répondit l'enfant. - Non, reprit le père, car tu n'as pas demandé mon aide !». 
Frères et sœurs, prier, c'est assurément utiliser toutes nos forces.
Ne l'oublions pas durant ce temps de Carême que je nous souhaite lucide et de plus en plus joyeux.
Amen.
Fr. Benoît-Marie