Pentecôte (B) Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15

Frères et sœurs, pour commencer, permettez-moi de vous poser une question un peu déplacée : vous est-il déjà arrivé d'être ivres, ou en tout cas d'avoir un peu trop bu, avec la tête qui tourne ? C'est plutôt agréable sur le moment. On se sent joyeux, plus ouvert aux autres, détendu et désinhibé. Même Jésus a bu avec ses amis et ses disciples, et aussi avec des pécheurs, ce qui lui a valu d'être traité de glouton et d'ivrogne (cf. Mt 11,19). Il a utilisé le symbole du vin pour évoquer son sang versé pour le monde. Pourtant, nous savons que l'alcool est nuisible pour la santé, et qu'il n'est pas bon d'encourager à en boire d'une manière excessive, car cela altère la personnalité, et mène dans ce cas à des comportements déviants et répréhensibles. À ce propos, saint Paul, dans la deuxième lecture, nous avertit de ne pas tomber dans les actions qui mènent à la chair. La liste est longue. Vous l'avez entendue : impureté, débauche, beuveries, orgies, etc. Au contraire, nous sommes invités à accueillir plutôt les fruits de l'Esprit : amour, joie, douceur, bienveillance et maîtrise de soi.

En ce jour de la Pentecôte, où nous célébrons la grâce de Dieu à l'œuvre dans notre monde, il nous est bon de nous rappeler que c'est l'Esprit Saint qui nous fait vivre, et que nous devons marcher sous sa conduite. L'Esprit nous est donné pour pouvoir avancer droit sur le chemin de l'évangile. La chair, elle, nous fait plutôt marcher avec des lignes courbes, comme quelqu'un qui titube... Il faut souligner aussi que le spirituel, au contraire du « spiritueux », on peut toujours y recourir, sans modération ! À l'intérieur de nous, le Saint-Esprit est un feu bien plus puissant que tous les alcools forts et les eaux de vie. S'il nous fait tourner la tête, ce n'est pas dans le même sens. Il altère également notre personnalité, mais c'est pour nous faire passer de la condition humaine à la condition divine, comme le Christ. L'Esprit Saint nous procure une sainte ivresse, car il nous fait devenir différents tout en restant nous-mêmes. Avec lui, nous donnons ce que nous avons reçu de plus beau personnellement, et d'une manière infinie.

Autre comparaison avec l'ivresse naturelle : le spirituel qui vient de l'Esprit nous fait parler, il nous sort de nous-mêmes et nous donne de la joie. Une joie qui n'est pas un simple plaisir passager. Comme sur chacun des disciples qui parlent en langues différentes, et que l'on soupçonne d'être « pleins de vin doux » (Ac 2,13), l'Esprit est un Feu dévorant qui nous brûle pour annoncer la Parole de Dieu. Non pas une parole annoncée à tort et à travers, comme lorsqu'on a trop bu et que l'on dit n'importe quoi, mais une parole qui élève. Une parole qui ne crée pas de division ni de polémique de tables, mais qui pacifie et unifie toutes les différences. Si nos particularités et spécificités sont souvent synonymes de pierres d'achoppement, car elles révèlent nos égoïsmes, l'Esprit Saint, lui, sait respecter chacun dans sa singularité, et met en lumière ce qu'il y a d'unique dans la personne et dans l'Église qu'il constitue.

Frères et sœurs, l'Esprit Saint, nous en avons toujours besoin pour vivre. Comme une respiration, il est là, sans que nous en ayons vraiment conscience. Et comme il est présent à tout moment, nous pouvons - et c'est même un besoin vital - puiser à sa source. Car l'Esprit coule du Père, c'est-à-dire de l'origine de l'Amour. Comme une huile bienfaisante et odoriférante, il se répand sur le Christ, celui qui a reçu l'onction sainte. Nous aussi, nous avons vocation à recevoir cette huile qui donne la Vie, ce feu qui nous anime de l'intérieur. Si les fruits de la convoitise nous apportent une consolation de courte durée, et nous enferment en nous repliant sur nous-mêmes, les fruits de l'Esprit nous donnent une grâce infinie ; car l'Esprit Saint n'est pas une simple consolation éphémère, mais il est le Consolateur, le Défenseur qui rend témoignage en faveur de Jésus.

L'évangile de Jean nous explique que l'Esprit de vérité nous aide à porter toutes les choses que le Christ veut nous dire. Il nous fait entrer dans la plénitude de la vérité, en nous faisant connaître ce qu'il a reçu du Fils. Cette vérité ne s'explique pas de l'extérieur. Elle ne se prouve pas par des moyens humains. Dans son livre « Esprit et liberté », le philosophe d'origine russe Nicolas Berdiaev, disait que « le critère de la vérité dans l'esprit est la manifestation même de l'esprit, la contemplation intuitive dans l'esprit de cette vérité, comme de la réalité même, de la vie même. La vérité, dans la vie spirituelle, n'est ni le reflet, ni l'expression d'une réalité quelconque, elle est la réalité, l'esprit dans sa vie intérieure. (…) Dans la vie spirituelle tout est elle-même, tout lui est identifié. En elle il n'y a pas l'idée ou le sentiment de Dieu, il y a la révélation de Dieu lui-même, la manifestation du divin ».

Puissions-nous vivre de la vérité de l'Esprit. L'Esprit qui prend notre chair blessée, pour la sauver et la transfigurer. Frères et sœurs, rendons grâce à Dieu pour ce don infini qui nous rend participants de sa divinité. Amen.

Fr. Columba