Nativité du Seigneur (Jour) Jn 1, 1-18
Chers frères et sœurs, depuis la nuit des temps, nous rêvons de nous élever par l'esprit, de nous déplacer par la simple pensée. Nous cherchons à nous libérer de ce fardeau pesant du corps en tendant vers l'immatériel, en mettant notre confiance dans une intelligence artificielle plus efficace que nous...
Déjà certaines philosophies antiques comme le platonisme parlaient du corps comme d'un tombeau duquel l'esprit devait sortir. Et Dieu, par son Fils, se donne à nous dans la chair, c'est-à-dire dans notre corps le plus intime, le plus fragile, le plus sensible et le plus archaïque. Quel mystère ! Imaginez que vous disiez à Dieu : « Je viens chez toi », et vous prenez l'autoroute pour le rejoindre au ciel. Sauf que lui, il est déjà parti pour vous retrouver sur la terre ! Alors, comment faire ? À moins de se croiser sur l'autoroute de manière furtive, en se faisant signe de loin, il y a peut-être moyen de s'arrêter ensemble sur une aire d'autoroute, commune aux deux voies. C'est cela qu'est venu accomplir le Christ, à la fois homme et Dieu. Il fait le pont entre Dieu et nous. Il est à la fois l'aire d'autoroute où nous pouvons nous reposer, mais aussi celui qui vient nous rejoindre sur la terre, pour nous amener au ciel. La première lecture du livre d'Isaïe nous dit : Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! ». Cette parole de Dieu, l'auteur de l'épître aux Hébreux explique qu'elle s'est manifestée à nous de multiples manières, d'abord par les prophètes dans le passé, et à la fin par le Fils. Saint Jean, lui, va plus loin encore en déclarant que « le Verbe s'est fait chair », qu'il a habité parmi nous et que nous avons vu sa gloire.
Mais de quelle gloire s'agit-il ? Un enfant dans une crèche, ce n'est pas très glorieux d'un point de vue humain. Quelle est donc cette « puissance de Dieu » dont nous parle sans arrêt la liturgie ? Il semblerait que cette puissance réside justement dans la faiblesse. Comme dit saint Paul : Dieu a choisi ce qui est fou dans le monde pour couvrir de honte ce qui est sage ; Dieu a choisi ce qui est faible pour confondre ce qui est fort (1 Co 1,27). Là encore, il y a un renversement des valeurs, comme l'autoroute à double sens dont je vous parlais. Dieu veut habiter notre chair, mais nous, ça nous fait peur. Car cette chair dont nous sommes revêtus – avec ses pulsions, ses colères, ses pleurs –, nous voudrions plutôt nous en libérer. Elle nous échappe et nous maîtrise, plus que nous la maîtrisons. Comment contrôler nos émotions, notre sensibilité ? C'est impossible. Et pourtant, c'est là que Dieu nous rejoint en son Fils, dans notre fragilité et notre faiblesse. Il ne s'agit pas de nier notre sensibilité, ou bien de la refouler parce qu'elle nous fait trop mal. Mais plutôt de la tourner vers Dieu et de lui offrir. Sur l'autoroute qui mène à Dieu, nous savons que nous n'y arrivons pas. Nous n'avons pas assez d'essence, de toute façon. Pas assez d'huile dans le moteur, comme les jeunes filles de l'évangile qui n'ont pas assez d'huile dans leur lampe. Nos propres forces ne suffisent pas pour aller à lui, et les longues prières creuses sont inutiles. Jésus dit : Ce n'est pas en disant : « Seigneur, Seigneur » que vous entrerez dans le Royaume, c''est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Mais quelle est cette volonté de Dieu ? C'est justement de nous rejoindre par son Fils. C'est son projet depuis les origines, d'envoyer sur terre, dans notre chair, son Verbe, sa Parole éternelle. Pour nous montrer le chemin vers lui, le chemin vers nous-mêmes de qui nous nous sommes éloignés.
Alors, plutôt que de vouloir échapper à ce monde de souffrance, soit en nous élevant dans une fausse mystique qui est une fuite du corps, soit en nous barricadant derrière notre sensibilité blessée, nous sommes invités à accueillir cette chair. Plus que de simplement l'accepter, il s'agit d'en prendre soin, comme nous avons pris soin de la cathédrale Notre-Dame de Paris, quand elle a été incendiée. Soigner ce qui est abîmé, dans tous les sens du terme. Abîmé dans la dégradation de notre dignité, mais aussi abîmé dans la profondeur des origines. C'est cela que fait le Christ pour nous, dans la crèche. En se faisant petit et accessible, il nous pousse à nous abaisser, à devenir plus humbles. Il nous invite à prendre soin de lui, et par là même, à prendre soin de nous et des autres. Il donne à un visage à notre chair, à cette enveloppe fragile qui est la nôtre. Jésus nous aide à ne plus avoir peur de notre sensibilité, de nos pleurs et de nos cris. En devenant enfant, en naissant parmi nous dans cette chair, il nous fait toucher au plus profond notre origine divine, notre cœur battant d'émotions créé par Dieu. Tournons notre être tout entier vers lui. Ne cherchons plus Dieu dans les hauteurs lointaines. Il est là, devant nous, au milieu de nous, l'Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». Amen.
fr. Columba