Ascension (B) Mc 16, 15-20
O altitudo ! Avez-vous quelquefois, calme et silencieux / monté sur la montagne, en présence des cieux ? / Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ? / Aviez-vous l'océan au pied de la montagne ? / Et là, penché sur l'onde et sur l'immensité, calme et silencieux, avez-vous écouté ?
Frères et sœurs, c'est ainsi que commence un poème de Victor Hugo, qui s'intitule « Ce qu'on entend sur la montagne ». Et ça tombe bien, parce que le « Sund » dont il est question dans ce poème est un mot qui signifie à la fois « son » et « détroit » dans les langues scandinaves. Lors de leurs invasions, les vikings ont apporté ce mot en Angleterre, qui est devenu sound. Le son de la mer et de la montagne est subtil et unique. Quand on se retrouve au milieu d'un paysage infini, que ce soit sur la mer devant l'horizon à perte de vue, ou tout en haut d'une montagne, il y a une autre qualité d'écoute.
Le symbole de la montagne est le bienvenu, en cette solennité de l'Ascension du Seigneur. La montagne de Dieu nous élève à une autre dimension, dans les hauteurs des cieux, là où le Christ a rejoint son Père, et où il nous promet de demeurer avec lui quand il reviendra. L'apôtre Luc, au tout début du livre des Actes, explique que Jésus a été enlevé au ciel, et que tous le regardaient, alors qu'une nuée le soustrayait à leurs yeux. En effet, il est tentant de vouloir « regarder » à travers les nuages, de vouloir percer le mystère de Dieu, au sommet. Mais la montagne veut que nous l'écoutions, et pas simplement que nous la regardions. Rappelez-vous le poème : Calme et silencieux, avez-vous écouté ? « Pourquoi restez-vous là, à regarder le ciel ? » disent les deux hommes en vêtements blancs. C'est le jour où nous devons écouter, car Dieu monte parmi les acclamations, et nos musiques retentissent pour le louer. Je vous invite d'ailleurs à venir écouter le concert spirituel qui aura lieu cet après-midi dans notre église, et qui contribuera à élever nos esprits vers Dieu. Oui, je vous disais qu'il nous faut davantage écouter et entendre, que regarder. Car souvent, nous pouvons être désespérés de « voir » la souffrance du monde. Celle-ci nous saute aux yeux, et elle peut nous accabler, comme la perte de Jésus dans les nuées. A quoi cela sert-il qu'il y ait une montagne, si l'on ne peut pas la contempler, à cause des nuages ? Et à quoi cela sert-il que Dieu existe, s'il ne fait rien pour ceux qui souffrent ? Le passage à vivre entre l'Ascension et la Pentecôte, entre la perte de Jésus et la réception de l'Esprit Saint, est une sorte de vide qui fait un appel d'air. Ce vide est un deuil qui nous rend captifs, comme Marie-Madeleine au tombeau de Jésus, quand elle pleure la perte de son maître. Le Christ, comme dit saint Paul en reprenant l'Écriture, a capturé des captifs, il a fait des dons aux hommes. Cette expression « capturer des captifs » est éloquente. Elle nous dit que le Fils de Dieu a rendu captive la captivité ; il a fait mourir la mort. Le diable qui nous enchaînait, il l'a ligoté avec ses propres liens.
Frères et sœurs, nous pouvons nous demander quels sont les liens qui nous retiennent, et nous empêchent de regarder vers le haut. La nuée qui sépare le ciel et la terre, c'est cette même nuée qui nous sépare du Christ, arrivé au sommet de la montagne. Il est la tête de son Église, et nous, ses membres, nous sommes en train de passer avec lui, mais c'est en espérance. Pour l'instant, il nous faut accepter ce temps de deuil, et attendre que la promesse soit accomplie. La seule manière d'avancer sans encombres dans le brouillard et dans la nuée, c'est de marcher avec Jésus sur les sentiers escarpés. Nous savons qu'il est déjà arrivé et qu'il connaît le chemin. Des signes nous sont donnés, dans cette ascension, comme des balises qui nous indiquent la bonne direction. À mesure que nous devenons croyants, que nous traversons la nuée, des signes nous accompagnent, dit l'évangile : nous sommes rendus capables d'expulser les démons, de parler en langues nouvelles, de prendre des serpents dans mes mains, de boire un poison mortel. Évidemment, je vous déconseille d'essayer, en sortant de cette église ! Il ne faut pas prendre ces signes au pied de la lettre, même si nous croyons aux miracles... Cela veut dire surtout que nous triompherons de la mort avec le Christ. Des captifs que nous sommes, il fait de nous des êtres libres qui montent vers lui dans la foi, malgré les épreuves. Calme et silencieux, avez-vous écouté ce qu'on entend sur cette montagne ? C'est la voix du Père qui nous dit d'écouter son Fils bien-aimé. Montons, au-delà de la nuée, nous serons transfigurés et élevés avec lui. Amen.
fr. Columba