5° Dimanche de Carême B Jn 12, 20-33

Frères et sœurs, dans huit jours, ce sera les Rameaux et la Passion. Tout ira très vite, nous serons arrivés aux grands jours de Pâques. Aujourd'hui, notre évangile dit le coup de tonnerre qui précède, il annonce solennellement : « c'est l'Heure ! »
En fait, nous le savons bien, chaque dimanche, c'est Pâques, et chaque eucharistie, c'est Pâques. C'est toujours l'heure de Pâques, Pâques est l'événement éternel, seul subsistant. Mais par l'eucharistie, nous nous y rendons présents, attentifs, un peu plus attentifs, les bons jours. Nous disons que c'est Pâques le 31 mars, ou que c'est dimanche le 17 mars, comme nous disons que le soleil se lève ou se couche, alors qu'en fait, c'est un petit coin de notre planète changeante qui se trouve exposé ou non à cette lumière du soleil, lequel est toujours rayonnant de la même lumière, du moins pour quelques milliards d'années…

Eh bien par l'eucharistie, nous prenons le soleil. La Pâque du Christ est le véritable soleil éternel qui illumine nos vies éphémères et changeantes.
Le prophète Jérémie, dans une prophétie tout à fait originale, annonce cela en parlant d'une « alliance » nouvelle. « L'alliance » en latin se dit testamentum. Ancien Testament, ancienne alliance, Nouveau Testament, nouvelle alliance. En apparence donc deux alliances, comme deux gros livres qui finalement se ressembleraient ?
Non ! Car l'Ancien Testament est l'histoire de multiples alliances, indéfiniment reprises, réitérées, répétées ; le mot « alliance » revient plus de 300 fois dans l'Ancien Testament ! Dieu est patient, obstinément patient pour faire et refaire alliance avec les hommes : alliance avec Noé, alliance avec Abraham, alliance avec Jacob, avec le roi David, et encore avec Josué, mais surtout, coiffant tout de très haut, avec Moïse… La « nouvelle » alliance, elle, va tout reprendre et tout accomplir : alliance avec chacun de nous, Juifs et Grecs, esclaves et hommes libres.
Ce qui nous le dit, c'est que, dans tout l'évangile de Marc, dans tout l'évangile de Matthieu, ce gros mot d'alliance n'apparaît qu'une seule et unique fois, au même endroit. Cette seule et unique fois, c'est dans la bouche de Jésus, à un moment très particulier, chaque eucharistie s'en fait l'écho à nouveau : « ceci est mon sang de l'Alliance ». Dans les récits de Paul et de Luc, Jésus ajoute « le sang de l'alliance nouvelle », comme celle qu'annonçait le prophète Jérémie solennellement. La liturgie retient cela : oui, c'est complètement nouveau, et unique, et définitif : « alliance nouvelle et éternelle ».

Ce que fait Jésus la veille de sa Passion est totalement inattendu pour les Douze, même si, pendant toute sa vie publique, Jésus a attaché une grande importance aux repas : des repas avec les intimes, des repas avec les pécheurs et les publicains, des repas chez des pharisiens, des repas de noces, des paraboles de repas, et même des pique-nique incroyables qui rassemblaient plusieurs milliers de personnes dans des coins paumés. Jésus a tellement insisté sur ces repas que les mauvaises langues ont dit de lui qu'il n'était qu'un glouton et un ivrogne.
Écoutons mieux ce que dit Jésus lors du dernier repas après avoir fait passer la coupe : « ceci est mon sang de l'alliance » ! Au Sinaï, Moïse célèbre l'Alliance entre Dieu et le peuple en aspergeant de sang l'assemblée et il déclare : « voici le sang de l'alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Ex 24,8)
La différence, la nouveauté inouïe, c'est « mon sang » : pas celui des taureaux ou des béliers, le sang de Jésus sur la croix, le sang du Fils de Dieu. Dans la nouvelle Alliance, c'est Dieu qui s'offre en sacrifice une fois pour toutes, pour nous. Alors c'est la fin de tous les sacrifices, le Temple est déjà en train de s'effondrer. La révolution est si profonde qu'elle n'est jamais totalement accomplie dans nos esprits, nos cerveaux archaïques, reptiliens, qui croient être bien pieux, bien religieux quand ils continuent à refabriquer des petits sacrifices bien méritoires.
Non ! Ce que nous célébrons dans le mémorial de l'eucharistie, c'est ce renversement inouï : Dieu a tout fait pour nous en son Fils. Nous, nous l'avons « sacrifié », mis en croix, et nous le sacrifions encore par nos fautes et nos transgressions et nos faiblesses lamentables. Mais Lui a par avance donné sa vie, il a pris sur lui toutes nos fautes, il a pardonné tous nos péchés. Alors il n'y a plus que l'action de grâce : « l'eucharistie ».
Avec les siècles, la tradition liturgique a pris l'habitude avec les Pères de l'Église d'appeler aussi nos eucharisties des « sacrifices », puisqu'il n'y en avait plus d'autres. Mais l'unique sacrifice, le seul qui vaille, c'est celui qu'a fait le Christ de sa vie pour nous, une fois pour toutes.
Frères et sœurs, chaque eucharistie, patiemment, nous accoutume à ce renversement, à ce pardon qui transforme nos vies, nos esprits si nous le recevons. Jésus le déclare dans l'évangile d'aujourd'hui : « J'attirerai à moi tous les hommes. » Dieu agit comme un aimant, parce qu'il est l'Amour. Si nous changeons, si nous faisons du bien, si nous agissons mieux, ce n'est pas par nos propres forces, c'est par action de grâce, par l'action de l'Esprit Saint en nous. Rappelez-vous : c'est Lui, le Ressuscité, qui nous attire à lui. « Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est Lui qui nous a aimés. » (1 Jn 4,10)
Amen.

Frère David