3° Dimanche du TO*B Mc 1, 14-20
C'est l'année « Marc » qui commence, et nous entendons déjà résonner l'un des adverbes qu'il aime plus que tous les autres : « aussitôt ». Aussitôt, Jésus appelle, aussitôt ils le suivent…
Cet « aussitôt » a retenti également dans l'histoire de Jonas : les gens de Ninive ont réagi aussitôt à la proclamation de Jonas…
Et ce que dit Paul a quelque chose à voir avec cet aussitôt : il nous parle du temps, du temps qui est limité, du monde qui passe, du temps qui n'est pas ce qu'on croit, et ce qu'il dit là est extraordinaire.
Toutes les lectures aujourd'hui nous parlent d'un rapport au temps : quelque chose brusquement se transforme, à cause de la Parole de Dieu, à cause de Jésus qui passe par là.
C'est sur ce point que je voudrais méditer avec vous ce matin.
Car Paul nous dit que ça devrait complètement changer notre vie.
Alors que nous aimerions mieux que l'évangile nous bouscule le moins possible… C'est déjà pas mal, pensons-nous, de libérer une heure pour la messe ou pour la prière dans notre emploi du temps trop chargé. Bon ! Pour ce qui est du temps, il nous faudrait retourner complètement notre point de vue : ce n'est pas nous qui donnons du temps à ceci ou à cela, qui prenons du temps pour ceci ou pour cela, c'est Dieu qui nous donne le temps, tout le temps, de la première seconde à la dernière heure, dans toute son épaisseur et dans toute sa durée…
Pour recevoir ce cadeau, il nous suffit d'entendre l'appel, de nous savoir appelés.
Jésus passe au bord de la mer, et la vie des quatre premiers disciples décolle.
Ce décollage, nous pouvons le prendre aux deux sens du mot : leur vie prend brusquement de l'altitude, elle prend son envol… et aussi, ils se dé-collent de beaucoup d'éléments de leur vie d'avant : papa Zébédée et la petite entreprise de pêche, et la vie qui va avec.
Ce dé-collage, cette distance prise, c'est peut-être ce que Paul exprime avec son « comme si » insistant : comme s'ils n'étaient pas mariés (mais Pierre est marié et le reste), comme s'ils ne possédaient rien (alors qu'ils ont une barque et la gardent). Quelque chose a changé de leur rapport au monde. Parce que le monde passe : il y a plus important. Il y a plus urgent. Il y a plus intéressant. Rien ne sera plus comme avant.
Tout au long de l'évangile, nous voyons Jésus faire cela : dé-centrer ceux qu'ils rencontrent, les faire dé-coller, leur montrer que le vrai bonheur n'est pas une condition de vie, un état de vie, un niveau de vie. Le vrai bonheur est ailleurs. Jean Sulivan disait magnifiquement : « Le bonheur n'est pas dans le bonheur. Il est dans l'incessante marche. » (Matinales)
Au fond, la question est un peu celle-ci : voulons-nous vivre avec une véritable espérance, ou non ? SI nous préférons nous résigner, retournons à notre trou de souris, aménageons le mieux possible notre fromage, et basta.
Si nous voulons vivre d'espérance, alors, il s'agit d'écouter un appel, une promesse, cette voix qui nous dit à chacun : il y a autre chose que ce monde borné où tu tournes en rond de plus en plus vite.
S'il y a un « ciel », comme on disait autrefois, alors décollez ! Les plaisirs et la richesse ne seront pas éternels.
En 1889, Charles de Foucauld fait une visite à l'abbaye de Solesmes, dans la Sarthe, chez des bénédictins, et il rencontre le prieur, dom Delatte ; cinq ans après, il écrit à sa cousine quelque chose qui l'a marqué : « ce que me disait, en me quittant, dom Delatte : de me rappeler toujours deux choses dans les heures de tristesse : que Dieu m'aime et que la vie n'est pas éternelle. » (Lettre à Marie de Bondy, 13 mars 1894)
Dieu m'aime et la vie n'est pas éternelle…
L'espérance va jusque là, c'est-à-dire au-delà, au-delà de la mort. Jusqu'à la mort, ça s'appelle un espoir, des espoirs, des espérances au pluriel… mais ce qu'on appelle l'espérance chrétienne prétend à davantage : Jésus, quand on a croisé sa route, est celui qui nous emmène au-delà de la mort. Pas en rêvant ! Au contraire, en le suivant, lui, en vivant avec lui, en apprenant de lui à décoller, à me décentrer, à penser plus large, plus haut, plus loin. La vie éternelle est déjà commencée. Rien n'est plus comme avant.
La vie selon la Bonne Nouvelle n'est pas un coup de gomme magique sur toutes les difficultés qui nous barrent la route. Elle est un regard qui va plus loin, au-delà, qui crée en nous du possible, de la patience et de l'espérance. Tout le temps que Dieu nous donne est vraiment un cadeau à notre liberté, à notre initiative, à notre créativité. Alors prêtons l'oreille à la voix de Jésus qui passe.
frère David