Toussaint Mt 5, 1-12a

Tu solus sanctus. « Toi seul es saint », venons-nous de chanter pendant le Gloria tout à l'heure, en nous adressant à Dieu. Mais si Dieu seul est saint, élevé au-dessus de toute créature, alors pourquoi y a-t-il des saints parmi les humains, et comment peut-on dire que nous sommes « tous saints », ou en tout cas tous appelés à la sainteté en participant à l'être même de Dieu ? Le pape François, pendant les JMJ à Lisbonne a martelé « todos, todos », pour affirmer avec force que tous, nous avons une place dans l'Eglise, et que personne ne devrait en être exclu. A fortiori, dans le cœur de Dieu ! La sainteté n'est pas réservée à une élite de bons croyants, de chrétiens parfaits qui se distingueraient des autres, des pauvres pécheurs. Non, nous sommes tous appelés à être saints comme Dieu lui-même est saint, en vivant de sa vie divine. C'est pour cela que nous fêtons en ce jour « tous les saints », les plus connus, et les inconnus.

Une comparaison peut nous aider à comprendre cela. Prenons l'image du bois, et celle du feu. Nous sommes le bois, inerte, qui a été retranché d'un arbre. Dieu, lui, est le feu qui brûle, insaisissable, lançant des flammes dans tous les sens. Quand le bois est jeté dans le feu, il peut arriver qu'il se mette à fumer. Cela signifie qu'il est encore chargé d'humidité, et qu'il n'a pas bien séché. En effet, au contact de Dieu, qui est comme un feu, nous ne pouvons pas rester insensibles. L'eau, en tant qu'élément étranger, doit être libérée. Par son amour, Dieu nous purifie de notre péché, et nous en délivre finalement. Nous ne sommes pas du feu, mais seulement du bois. Pourtant, au contact des flammes, le bois se transforme en braises. Il devient ardent comme du feu. C'est un peu cela, la sainteté à laquelle participe l'homme, en tant que créature. Celui-ci est associé à la divinité de Dieu, tout en gardant sa nature humaine.

Que nous dit cette comparaison que nous venons de prendre ? Que la sainteté ne peut advenir dans notre vie que s'il y a contact régulier entre Dieu et nous, comme il y a contact entre le bois et le feu, jusqu'à la formation des braises. Ce contact, cette relation, c'est ce qu'on appelle la prière. La prière n'est pas d'abord une demande adressée à Dieu comme de l'extérieur, mais bien d'abord un lien de proximité et d'amour entre deux natures, celle de l'homme et celle de Dieu. Comme le bois est jeté dans le feu, il nous faut nous aussi nous jeter en Dieu par la prière, et y demeurer ; en prenant un temps de silence, ou même dans les activités quotidiennes du travail. Cela ne nous est pas naturel. Passer du temps avec Dieu demande une purification qui est exigeante car elle nous libère de notre égoïsme et de notre volonté propre. Pendant la prière, je ne m'appartiens plus, mais je suis tout à Dieu. A son contact, je deviens de plus en plus celui que j'aime, tout en restant moi-même. Dieu est en moi celui qui est plus que moi, et qui m'attire à lui.

De ce fait, la sainteté n'est pas d'abord une affaire de vertu, mais d'amour et de désir. Pour être saint, il faut avoir la flamme et être amoureux de Dieu ! Quand un ado tombe amoureux, il fait brusquement attention à ce qu'il dit, à la manière dont il s'habille, pour plaire à celle qu'il aime. C'est la même chose dans la relation avec Dieu. On ne peut pas exiger de quelqu'un qu'il vive de l'esprit de l'évangile s'il n'a pas fait au préalable l'expérience d'être aimé par Dieu. Pour se convertir et devenir saint, il faut d'abord qu'il y ait un coup de foudre, une étincelle qui enflamme le cœur. Cette expérience, nous ne le maitrisons pas, car c'est la grâce qui nous tombe dessus. Ce que nous pouvons faire, c'est de créer les conditions propices à cet accueil de la grâce, pour nous-mêmes et pour les autres.

Dans cette perspective, la sainteté n'apparaît plus comme quelque chose de désuet ou d'élitiste, mais bien plutôt comme quelque chose de vivant et de dynamique, où l'on se laisse toucher par Dieu, en devenant saint comme lui-même est saint. Dans ce monde en proie à la violence, Dieu a besoin de nous, les baptisés, pour témoigner de son amour ardent pour l'humanité. Si nous sommes froids ou tièdes, si notre sel ne donne plus de goût et si notre lumière est mise sous le boisseau, nous ne pourrons pas témoigner du bonheur d'être chrétiens, au cœur même de la souffrance. Jésus nous le dit : il est possible d'être heureux même lorsqu'on pleure, car on sait que Dieu nous consolera un jour. Et ce jour ne nous appartient pas. Dieu donne l'espérance en même temps que la sainteté. Sa lumière, son feu brille en nous pour éclairer nos propres ténèbres et celles du monde. Laissons ce feu se propager et cette lumière se diffuser dans nos cœurs. Prions l'Esprit Saint de faire de chacun de nous des saints, pour que le monde croit en lui. Amen.

Fr. Columba