Sainte Trinité (A) Jn 3, 16-18

Frères, j'ai connu quelqu'un qui était tombé dans un état pitoyable. Au début, quand un frère lui parlait, il le méprisait et disait : « Qu'est-ce que c'est que celui-là ? Pour qui se prend-il ? Il n'y a au monde que Zozime et ses disciples ! »
Puis, ceux-là aussi, il se mit à les mépriser et à dire : « Il n'y a que Macaire », et peu après : « Qu'est-ce que Macaire ? Il n'y a que Grégoire et Basile ! »
Mais il les méprisa bientôt, eux aussi : « Qu'est-ce que Basile ? Qu'est-ce que Grégoire ? disait-il. Il n'y a que Pierre et Paul.
– Oh ! Certainement, frère, lui dis-je, d'ici peu tu mépriseras aussi Pierre et Paul. »
Et croyez-moi, peu de temps après, il se mit à dire : « Qu'est-ce que Pierre et qu'est-ce que Paul ? Il n'y a que la Sainte Trinité. »
Finalement il s'éleva contre Dieu même et ce fut sa ruine.
(saint Dorothée de Gaza, Instructions, II, 31)

Que veut nous dire cette petite histoire de saint Dorothée de Gaza ?
Elle nous dit que la Trinité est une affaire de visages.
Il y a des visages en Dieu.
Plus encore : notre rapport aux visages humains dit déjà notre rapport avec le Dieu des visages, rapport au Visage indicible de Celui qui nous aime.
Il est temps de chercher Dieu dans les visages et pas ailleurs.

Frères et sœurs, vous avez peut-être remarqué combien nos lectures aujourd'hui ont été courtes. Vous avez peut-être pensé, comme moi : tiens, cela fait du bien, de temps en temps.

C'est que la Trinité nous cloue le bec.

Et pour commencer, parce qu'on ne trouve nulle part ce mot « trinité » dans la Bible ! Alors il aurait été mal venu d'en rajouter.

Outre cette brièveté des lectures, une chose m'a frappé en préparant cette messe : tous les chants ne disent qu'un seul mot, une seule parole, toujours la même : « Béni, bénissons, bénissez ! » Benedicta sit, benedicamus, au chant d'entrée, à l'alleluia, à l'offertoire, à la communion…

Voilà ce que la Trinité nous dit, nous inspire, nous suggère face aux visages de nos frères, de nos sœurs : bénir.

Assurément, cette bénédiction, c'est ce qui se passe en interne chez Dieu, alors que chez les hommes, ça reste un peu rare. Notre égoïsme naturel est rétif. Notre propension à critiquer, française ou universelle, nous rend économes de bénédictions : peur de passer pour un naïf.

La bénédiction est un phénomène tout à fait unique dans la Bible et qui vaut la peine d'être regardé de plus près.

Dieu bénit le monde, bénit les humains, dès la création. Bénir, cela veut dire quelque chose comme « rendre fécond ». Bénir quelqu'un, c'est louer sa fécondité et la favoriser. « Pour un Juif, la bénédiction ne consiste pas seulement à prononcer quelque parole, c'est un acte laissant passer le courant même de la vie divine. […] Bénir, c'est communiquer la force de Dieu. (Xavier Léon-Dufour, Le partage du pain eucharistique selon le N.T., p.71)

Mais, et c'est cela qui est étrange et formidable, il est aussi donné à l'homme de bénir Dieu.

C'est-à-dire de le rendre fécond, de lui permettre de porter des fruits en nous.

Il nous est donné ainsi de coopérer à l'œuvre de Dieu, et la bénédiction n'est surtout pas réservée aux prêtres, chacun de nous doit bénir Dieu et bénir ceux qu'il aime. Bénir des choses, des chapelets, des maisons, des entreprises vertueuses, peut-être, mais surtout bénir les visages rencontrés, demander pour eux la fécondité, et la permettre. Communiquer aux autres quelque chose de la force de Dieu.

En cette eucharistie, nous venons recharger nos batteries de cette force de bénédiction qui vient du Christ, qui vient du Dieu des visages, pour la répandre à notre tour.

Amen.

frère David