Pentecôte (A) Jn 20, 19-23
Frères et sœurs, nous avons tous fait la terrible expérience, dans notre région, du vent d'autan. J'ai souvenir, il y a quelques années, qu'il avait soufflé pendant trois semaines. C'était l'enfer ! Nous sortions de là sur les rotules, terrassés de fatigue et de maux de tête. La particularité du vent, c'est qu'on ne le voit pas, mais on observe bien ses effets sur notre corps et notre esprit. Il y a ceux qui le sentent avant, et d'autres pendant qu'il souffle. Il nous rend nerveux, irritables. Bref, c'est une calamité. Le vent d'autan a seulement l'avantage de nous apporter un peu de soleil, puisqu'il chasse les nuages, qui se retrouvent bloqués contre la Montagne Noire.
L'Esprit Saint, le Souffle de Dieu, lui aussi, chasse les nuages et apporte le soleil. Mais c'est dans un tout autre sens, qui est métaphysique. Nous pouvons voir son effet sur nous-mêmes et sur les autres, bien qu'il soit invisible. Et c'est toujours un effet bénéfique, en faveur du bien. Contrairement au vent d'autan, il agit avec discrétion, comme le murmure d'une brise légère (cf. 1 R 19,12). Dieu est présent auprès de nous, dans la douceur et l'humilité, et il fait de nous des prophètes, comme le prophète Élie. Même si le Consolateur, le Défenseur, comme on l'appelle, n'a pas de visage, comme le Père et le Fils, il est une Personne à part entière, à l'écoute de ce que nous vivons en profondeur. C'est d'ailleurs lui qui nous fait accéder à cette intimité. On se dit qu'il était là, pendant une rencontre, lors d'un échange ou d'une célébration, pour apporter à chacun la Paix et la Joie. Toujours d'une manière douce et humble, sans bruit, sans éclat. C'est le Christ qui nous le transmet, comme aux apôtres réunis autour de lui, là où tout est verrouillé. Le Souffle divin se moque des frontières, des murs, des barrières. Il passe par-dessus tous les obstacles qu'on peut lui mettre. On a beau s'enfermer à l'intérieur de la maison, il est là, dans l'air. On ne peut rien faire pour l'en empêcher. L'Esprit donne une couleur, une chaleur, une mélodie, une saveur à toute situation que nous pouvons vivre. Il suffit de l'appeler, de l'invoquer pour qu'il vienne à nous. Je peux sentir qu'il m'enveloppe, comme les ailes d'une colombe sur mes épaules, et en même temps il est à l'intérieur de moi en me donnant la respiration nécessaire pour ma survie. À la fois dedans et dehors, il est partout présent et cela à chaque instant. L'Esprit se retire pour mieux se donner à nous. C'est peut-être pour cette raison que les théologiens et les prédicateurs ont tendance à l'oublier et à le mettre de côté. Heureusement, la fête de la Pentecôte nous rappelle qu'il est essentiel à nos vies et que nous ne pouvons pas nous passer de lui, comme l'air que nous respirons.
En fait, l'Esprit remplit tout, et pourtant il laisse tout l'espace disponible. Et quand il n'y a pas de place, il en crée, s'infiltrant, s'invitant dans la moindre faille de nos murs les plus épais. Aucune chaîne, aucune frontière ne lui résiste. Il est tout-puissant par sa douceur, comme une eau qui se fraie un chemin entre les rochers. En même temps qu'il se moque des frontières, le Souffle de Dieu brise l'idéologie de Babel, la langue commune et totalitaire, afin de créer de la différence et de la nouveauté. Il recrée en séparant, pour mieux unir. Chacun de nous l'entend dans son intimité qui lui est propre, dans sa langue maternelle. Rien d'étonnant que ce soit la langue de notre mère, car il est en quelque sorte le sein dans lequel nous sommes créés, le milieu divin d'où nous sommes sortis. L'Esprit (ruah, en hébreu, qui est un féminin) plane sur les eaux originelles. Il enveloppe toute chose à la création du monde. La ruah signifie aussi l'espace, en même temps que le souffle. C'est la matrice qui nous transmet le patrimoine génétique de Dieu, qui nous divinise, nous crée à l'image du Fils, pour être tout au Père. En même temps, comme le Père, l'Esprit engendre et rend fécond le sein de la Vierge. Au milieu de l'Église, l'Esprit irrigue comme une eau chaque membre du Corps du Christ. Il fait l'unité entre nous, au cœur même de la différence et de la singularité. Par lui, chacun de nous est davantage lui-même et plus en relation avec les autres. Insaisissable, il se saisit de chaque membre pour qu'il devienne apôtre, disciple. Le Souffle qui a animé les prophètes, c'est lui qui continue d'agir aujourd'hui, faisant contrepoids quand l'institution se fige. L'Esprit Saint souffle dans l'Église, mais il ne s'y laisse pas enfermer. Il va toujours au-delà, vers les périphéries du monde et des existences, rejoignant ceux qui se sentent abandonnés et rejetés à cause de la misère, de la maladie ou du handicap. Nul n'est indigne de lui, de le recevoir. Il est comme un hôte désirant habiter en chacun de nous. N'ayons pas peur de l'accueillir, même si nous nous sentons enchaînés, enfermés comme les disciples. Il veut nous donner la Vie qu'il est lui-même, à nous qui sommes toujours soumis à la pulsion de la mort.
Frères et sœurs, il nous faut bien cinquante jours pour nous souvenir que nous avons été libérés de la mort. Rappelons-nous que cette fête chrétienne, comme beaucoup d'autres, s'enracine dans le judaïsme. Cette célébration de la Pentecôte que nos frères Juifs appellent Shavouoth, fait mémoire de la sortie d'Égypte, et du don de la Loi à Moïse, par Dieu. Oui, nous sommes libérés de tout ce qui nous enferme, et surtout de nos peurs. Tous les régimes d'oppression, les totalitarismes ne tiendront pas face à l'Esprit de Jésus qui pousse les hommes et les femmes de notre monde à se mettre en marche, comme le peuple Hébreu dans le désert, vers la Vie et la liberté des enfants de Dieu. Une Terre Promise nous attend, un Héritage nous est déjà donné à travers la Personne de l'Esprit Saint. Rendons-grâce pour ce Don infini qui fait de nous des vivants, des dieux à l'image de Dieu, debout et libres comme lui. Amen.
fr. Columba