Résurrection du Seigneur (Jour de Pâques) Jn 20, 1-9

Frères et sœurs, je vais mettre tout de suite les pieds dans le plat : croyez-vous à la résurrection ? Peut-être que pour certains d'entre nous – ceux qui pratiquent d'une manière plus occasionnelle –, la résurrection est une croyance un peu fumeuse. Jésus est sorti du tombeau, mais on ne sait pas trop de quelle manière. Cela paraît bizarre. Et puis, qu'est-ce que ça change pour nous ? Dans les textes bibliques, il est dit que nous sommes « ressuscités » avec lui. Mais qu'est-ce que ça signifie vraiment ? Puisque notre corps devient un cadavre, cela veut-il dire que seulement notre âme sera vivante ?

Toutes ces questions – dont l'Eglise parle finalement peu –, habitent le cœur de nos contemporains en quête de sens. Surtout que dans notre société sécularisée, la mort est cachée, occultée, et cela amplifie d'autant plus le mystère de l'au-delà. Et puis, quand l'Eglise parle de paradis, d'enfer ou de purgatoire, le message a du mal à passer. Tout cela paraît bien infantile pour beaucoup, et d'autres croyances circulent, intellectuellement plus séduisantes. Prenons la réincarnation, par exemple. L'idée d'une âme qui passe successivement dans plusieurs corps, dans plusieurs existences, est attrayante, et paraît plus juste. Au moins, on peut s'y reprendre à plusieurs fois, si on a pas trop réussi dans sa vie ! On oublie pourtant que le cycle des renaissances – dont il est question dans l'hindouisme et le bouddhisme – est une fatalité dont il faut s'extraire, afin d'atteindre le nirvana, autrement dit la plénitude. En fait, la réincarnation a toujours été une tentation pour la foi chrétienne. Dès les premiers siècles, les gnostiques s'en sont déjà servis, rejetant le corps au profit de l'esprit, et séparant ces deux dimensions qui forment pourtant une unité. Aujourd'hui, nous voyons des nouvelles spiritualités qui surfent sur la réincarnation, en la prenant d'une manière positive... Mais – permettez-moi une image –est-ce vraiment si intéressant que ça d'être comme un hamster qui tourne indéfiniment dans sa roue ?

Frères et sœurs, nous avons besoin de comprendre, de saisir les choses d'une manière intellectuelle. Et nous nous heurtons à une impasse, pris dans un labyrinthe dont nous ne pouvons pas sortir. Nous sommes enfermés dans la compréhension de nous-mêmes et du monde, livrés à notre solitude et à notre propre volonté. Et même si l'on cherche à se sauver par soi-même, cela revient encore à rester dans le cycle infernal de l'ego. Bref, il nous faut une aide extérieure, quelqu'un qui nous sorte de là, de notre tombeau. Si, pour les tenants de la réincarnation, la survie est un processus spontané, comme celui du cycle de la nature, alors le salut est un droit auquel nous pourrions accéder. Dans cette optique, on ne meurt pas vraiment, puisqu'on renaît à autre chose. C'est rassurant, et ça nous permet de ne pas nous confronter à la question fondamentale qui est celle du sens, c'est-à-dire de l'orientation de la vie. En gros, l'immortalité deviendrait quelque chose d'accessible, de naturel. Pas besoin d'un sauveur, puisque je pense me libérer par moi-même, ayant en moi toutes les ressources cachées.

Tout cela est complexe, évidemment. Qui suis-je ? Où commence le « moi », et où finit-il ? Ce qu'il y a de plus profond en moi, est-ce toujours moi-même ou quelqu'un d'autre ? Dieu est-il seulement à l'extérieur ? Jésus n'a-t-il pas dit que le Royaume de Dieu était au milieu de nous, en nous ? Vous voyez bien que toutes ces questions, d'ordre philosophique, nous agitent et paraissent sans réponse. Notre raison est impuissante à tout résoudre. En définitive, il nous faut faire confiance. Avoir la foi, c'est cela. On parle de la même chose. Et cette confiance, comme je le disais, doit être placée en Quelqu'un qui est le principe de notre existence, et qu'on appelle le Père. Notre vie ne tourne pas en rond. Elle est orientée vers Dieu, qui nous aime. Le mythe de « l'éternel retour » n'a rien à voir avec la foi chrétienne. Aucune fatalité n'est compatible avec le message du Christ. Jésus est venu dans une histoire bien réelle. Ce n'est pas une légende. Son existence est indéniable, et les preuves historiques sont plus nombreuses que pour l'empereur Jules César. Sur la résurrection, pas de « preuve », évidemment, mais nous savons que les témoignages sont très abondants. Dès les premières années après la mort de Jésus, les choses se passent à une vitesse vertigineuse. Cela est illustré dans l'évangile d'aujourd'hui, où les disciples courent dans tous les sens. Ils deviennent des témoins, et répandent partout la bonne nouvelle de la résurrection. La joie déborde, car la vie est tendue vers l'avant. Il y a une espérance, une plénitude à venir. Le désir est toujours en éveil. Une ouverture demeure. Le nœud qui unissait le commencement et la fin, et nous enfermait dans une absence de perspective et de nouveauté, ce lien est dénoué. Nous sommes libres, enfin libres ! Le salut qu'apporte le Christ, c'est cela : il nous libère de nous-mêmes, de l'enfermement de notre tombeau.

Alors, frères et sœurs, ne nous laissons pas voler notre résurrection. Jésus est ressuscité avec son corps glorieux, et son corps vit auprès du Père. Il en est de même pour nous. Gardons au cœur ce profond désir d'immortalité, même si celui-ci doit être soumis à l'épreuve de la purification. Convertissons-le, afin de préserver – comme disait le pape Jean-Paul II (Audience générale du mercredi 4 novembre 1998) – l'identité unique et singulière de chaque créature humaine en tant qu'objet de l'amour personnel de Dieu  ». Comme Marie-Madeleine au jardin de Pâques, retournons-nous vers le Christ ressuscité qui nous appelle par notre nom, et qui nous sauve par son amour. Amen.

fr. Columba