Jour de Noël Jn 1, 1-18
Chers frères et sœurs, ce passage d'évangile assez long et énigmatique que nous entendons tous les ans le jour de Noël porte le nom de « Prologue ». « Prologue » qui vient de pro-logos, en grec, et qui veut dire « avant la Parole ». C'est une sorte de prélude, d'avant-propos de l'évangile de Jean, qui donne à celui-ci une clé de compréhension et d'interprétation. Son genre littéraire particulier vient du fait qu'il s'agit en grande partie d'une hymne ancienne qui était chantée par les premiers chrétiens, et qui a été placée au début de l'évangile. Nous retrouvons cette même introduction au début du livre de la Genèse, le premier livre de la Bible : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre (Gn 1,1). Ici, il est question aussi de « commencement », de « principe ». C'est une sorte d'« en-tête » de l'évangile.
Dans ce Prologue, vous aurez remarqué qu'on parle justement du Logos, du Verbe, qui est la Parole de Dieu. On nous dit que cette parole se fait chair, et qu'elle est lumière. Surprenant, non ? Comment une parole peut-elle être « lumière » ? La voix, c'est un son qu'on entend avec nos oreilles, alors que la lumière se voit avec les yeux. Qu'est-ce que cela veut dire ? Nous savons pourtant qu'une parole peut apporter de la lumière. L'auteur des psaumes y fait allusion, quand il s'adresse ainsi à Dieu : Pour éclairer mes pas, j'ai ta parole, pour illuminer mon sentier / Tes paroles retentissent, et c'est la lumière (vv. 105 et 130). Vous aussi, vous avez peut-être fait l'expérience d'écouter un verset de l'Écriture, à la messe ou en lisant la Bible, qui vous a percuté, et vous a touché en plein cœur. Cette parole, comme celle d'un ami, vous a rejoint d'une façon nouvelle, mystérieuse et unique. Comme si brusquement elle devenait personnelle, qu'elle était prononcée pour vous. A ce moment-là, tout s'éclaire dans votre vie. Vous découvrez que cette parole peut même changer votre existence, et la faire basculer dans une toute autre direction. D'un seul coup, la parole prend chair, c'est-à-dire qu'elle devient comme consistante, palpable. On ne se contente plus de l'entendre et de la voir, mais on peut quasiment la toucher. C'est cela qui se passe quand Dieu vient nous rejoindre en son Fils Jésus. Sa parole devient concrète, charnelle. Elle prend la forme humaine, afin que nous puissions la voir, l'entendre, la saisir. Dans un autre prologue, celui de la première épître de Jean, il est écrit ceci : Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie (…) nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous (1 Jn 1,1-3).
Dans l'épître aux Hébreux, l'auteur dit un peu la même chose quand il explique que le Fils (donc, le Verbe) est le rayonnement, l'expression parfaite de l'être de Dieu. Il porte l'univers par sa parole puissante. Là aussi, on retrouve cette idée que la parole de Dieu est lumière et rayonnement, quand elle s'offre à tous nos sens. Car c'est bien ce que le Père fait en nous envoyant son Fils, lorsqu'il se donne à nous sans se protéger aucunement, mais en assumant notre vulnérabilité. Quoi de plus vulnérable que notre sensibilité, nos émotions ? Nos sens nous mettent à fleur de peau, nous font faire toutes sortes de choses que nous ne maîtrisons pas. Ils nous font nous mettre en colère, avoir peur, désirer, aimer, pleurer. Tout cela, Dieu le prend sur lui en la personne de son Fils. Dans la crèche, il accepte de naître, d'avoir froid, d'avoir faim, de dépendre des adultes. Aujourd'hui, comment pouvons-nous percevoir la présence de ce Dieu fait chair dans notre monde, sinon en le voyant parmi les plus petits et les plus pauvres ? Où est Dieu ? N'est-il pas avec les habitants de Gaza, qui sont en ce moment au bord de la famine ? Si nous cherchons un Dieu magicien qui puisse résoudre tous les problèmes du monde, nous allons être forcément déçus. Car Dieu ne veut pas nous sauver d'une manière extérieure, comme par enchantement. Il se rend présent au cœur de toute situation de conflit, de guerre, de pauvreté. C'est là qu'il vient : en notre chair, dans notre faiblesse, dans notre condition humaine.
Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem, dit le prophète Isaïe. Dieu nous donne la force à partir de l'intérieur, du plus profond de notre humanité, au milieu des ruines de notre vie. Lorsque nous sommes dans la détresse, il vient en nous, afin que nous puissions puiser la force de son Esprit. Le Royaume est en vous, au milieu de vous, dit Jésus. Dieu est plus grand que moi, mais il n'est pas extérieur à moi. Il est une ressource infinie, toujours présente, toujours active quand je le laisse prendre les commandes de ma vie. Bien souvent, nous voulons faire par nous-mêmes, et c'est cela qui empêche Dieu d'agir en nous. Nous cherchons à gérer notre existence d'une manière indépendante, autonome. Même s'il m'arrive de demander à Dieu de l'aide, c'est quand même moi qui fais… L'Enfant de la crèche nous montre le chemin en acceptant d'être dépendant des autres, et de nous en remettre à leur bon vouloir. Nous aussi, nous pouvons faire en sorte que nos proches puissent nous venir en aide, quand nous avons l'humilité de le leur demander. Notre société est malade car chacun reste isolé de son côté, à cause de l'individualisme. Seuls les plus forts peuvent s'en sortir. Comme Jean, nous devrions pouvoir témoigner de la lumière du Verbe de Dieu, pour que celui-ci soit accueilli dans les cœurs. Cela n'est possible que si nous vivons l'entraide, la solidarité, la proximité avec les plus fragiles d'entre nous. Ils ne sont pas forcément loin, mais souvent à côté de nous, dans notre immeuble, dans notre famille, dans notre communauté.
Un enfant nous est né, un fils nous a été donné. L'insigne du pouvoir est sur son épaule ; on l'appelle Messager de Dieu. En cette fête de la Noël, demandons à Dieu la grâce de saisir la force de son Fils qui habite en nous, dans notre chair. Il est l'Enfant intérieur dont nous devons prendre soin, et qui prend soin de nous. En lui, le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem. Dieu est une mère pour nous, ses enfants, et nous sommes aussi une mère pour son Fils, comme Marie, quand nous acceptons de le porter, de le mettre au monde et de le nourrir. A chaque fois que nous portons un de nos frères et sœurs en détresse, c'est à lui, cet enfant intérieur, que nous le faisons. Rendons grâce à Dieu d'être venu jusqu'à nous dans notre faiblesse, par un chemin que lui seul pouvait imaginer. Belle fête de la Nativité du Seigneur. Qu'il prenne soin de chacun de vous. Amen.
fr. Columba