Jeudi Saint Jn 13, 1-15
Frères et sœurs, il n'existe qu'une seule façon de dire « je t'aime » à quelqu'un qui nous est cher ; mais il y a une infinité de manières de le montrer, par des gestes d'attention et de délicatesse. Et cela a souvent plus de poids que les paroles. Nous y sommes sensibles, à ces gestes que les autres – l'ami, le conjoint ou le frère – peuvent avoir envers nous. Cela peut même bouleverser notre vie, au point que nous en faisons mémoire, comme en cette célébration de la Cène.
Le Christ fait ainsi pour ses disciples réunis autour de lui pour fêter la Pâque. Par les gestes qu'il pose – ceux du lavement des pieds, et ceux du repas où il prend le pain et le vin – Jésus annonce le don de lui-même pour ses amis, pour toute l'humanité. Ce don reste gravé en nous pour toujours. Saint Jean nous dit que le le Fils de Dieu a aimé « jusqu'au bout / jusqu'à la fin » les siens qui étaient dans le monde. La charité, l'amour agapè consiste en cela : se donner aux autres d'une manière accomplie, parfaite, désintéressée. Pas seulement un moment, mais jusqu'au bout. Et nous savons que la mort n'est pas le terme, mais seulement un passage. Jésus ne s'est pas arrêté de nous aimer quand il est mort. Il a continué après sa résurrection, et il nous aime toujours. En fait, son amour, qui va jusqu'au terme, « fait sens » ; il a une direction. Le Maître – qui se fait serviteur – sait où il va, puisqu'il est lui-même le chemin de l'amour parfait. Sa vie, nul ne lui prend, c'est lui qui la donne, librement.
Jésus a fait de l'amour de Dieu et du prochain l'unique commandement. Il est lui-même l'accomplissement de la Loi, et c'est pour cela qu'il peut aimer jusqu'à la fin. Saint Paul dit que la fin de la Loi, c'est le Christ, pour la justice de tout homme qui croit (Rm 10,4). Saint Augustin explique que c'est une « fin qui rend parfait et non qui détruit, fin où nous devons parvenir et non fin où nous devons périr » (Commentaire sur l'évangile de Jean, LV,2). Le Christ est la Tête du Corps, il est notre fin ; c'est en lui que nous passons, et par lui que nous accomplissons la Pâque, le « passage ».
Il est à noter que deux disciples sont cités dans l'évangile de Jean, au moment du lavement des pieds : Judas et Pierre. Le premier livrera Jésus aux autorités juives, et le second le reniera devant une servante. Tout ceci, comme pour rendre encore plus évidente l'humilité de Jésus, qui s'est abaissé en lavant les pieds de ceux qui l'ont trahi. Il en est de même pour chacun de nous, et de l'Eglise tout entière qui a besoin d'être purifiée par Dieu dans l'eau du baptême. Cette Eglise qui a vocation à être « sans tâche ni ride », dit l'épître aux Ephésiens (5,26-27). Nous voici revenus à la question de l'amour de Jésus à notre égard, qui manifeste par des gestes d'une incroyable force toute sa tendresse pour nous, alors que nous sommes pécheurs. Maintenant, il nous faudrait dire, comme l'épouse du Cantique des cantiques (5,3) : « J'ai lavé mes pieds, comment les salirai-je ? ». Si nous avons été lavés et purifiés par Dieu, nous ne pouvons plus retourner à la situation antérieure. Dieu nous a montré sa miséricorde infinie, et il nous invite à faire de même avec notre prochain. Si le geste du lavement des pieds, aujourd'hui, n'est plus guère en usage dans nos contrées, il n'empêche que nous pouvons trouver la juste manière de rejoindre le frère, la sœur, dans ce même abaissement. Comment est-ce que je me situe par rapport à mon entourage ? Est-ce dans une position de supériorité ou d'humilité ? L'humilité ne signifiant pas une négation de soi-même, mais plutôt un accomplissement dans l'amour d'agapè. Comme Jésus, je suis appelé – de par mon baptême – à vivre de cette perfection de l'amour, en allant jusqu'à laver les pieds de mes ennemis, en rejoignant au plus profond ceux qui m'ont trahis et reniés. Cet itinéraire est d'abord intérieur, avant d'être extérieur. Prier pour ses ennemis est la première manière de les aimer, en les confiant à Dieu qui seul peut leur pardonner. Si Dieu me pardonne, il leur pardonnera aussi, puisqu'il est la Source de tout don. C'est ce que fera Jésus en remettant ses bourreaux au Père : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ».
A l'heure où l'Eglise semble plus que jamais salie par toutes sortes d'abus en son sein, il nous faut prier les uns pour les autres, en tant que membres d'un même corps, celui du Christ. C'est de lui, la Tête du Corps, que vient le pardon et la purification de nos péchés, comme une eau qui descend et ruisselle sur nous. Jésus, toi qui es rempli de douceur et d'humilité, viens unir les membres de ton Eglise par le bain du baptême. Donne-nous la nourriture de ton corps et de ton sang afin de nous fortifier sur ce chemin qui nous mène à l'amour parfait. Amen.
Fr. Columba