Jésus Christ Roi de l'Univers Mt 25, 31-46

Frères et sœurs, vous ne trouvez pas que Jésus est parfois clivant, discriminant ? Ça fait trois dimanches de suite qu'il semble exclure une partie du troupeau qui lui est confié. D'abord les cinq jeunes filles insouciantes qui arrivent en retard à la salle des noces, et qu'il refuse de laisser entrer ; ensuite le pauvre homme qui n'a reçu qu'un talent et qui, par peur, le cache dans la terre et se fait ensuite renvoyer dans les ténèbres, là où il y a des pleurs et des grincements de dents ; et aujourd'hui, c'est encore plus flagrant : les brebis et les boucs sont séparés en deux groupes. Les gentils blancs d'un côté, et les méchants noirs de l'autre. C'est de la « ségrégation », au sens propre du terme ! Heureusement, les homélies des frères - qui nous ont commenté les évangiles des dimanches précédents - nous ont aidé à y voir plus clair, et à ne pas nous méprendre sur ce côté tranché et binaire des paraboles de Jésus.

Les textes que nous avons entendus, et qu'il faut bien-sûr interpréter pour ne pas leur donner un sens erroné, sont les derniers de l'année liturgique ; année qui se termine aujourd'hui par la solennité du Christ-Roi, dans une récapitulation de tout l'évangile de Matthieu, avec la scène qu'on appelle le « jugement dernier », où Jésus sépare les brebis et les boucs. Il juge, comme un pasteur qui met de côté chaque espèce différente avant la nuit, avant que l'on ne puisse plus distinguer entre le noir et le blanc. Car la nuit, tous les chats sont gris, comme on dit. Et il devient impossible de discerner, de juger… Bref, pour bien comprendre l'évangile d'aujourd'hui, il faut avoir en tête que le thème du « jugement » parcourt tout l'évangile de Matthieu. Le « jugement dernier » est donc l'apothéose, le tableau final où nous retrouvons les éléments qui étaient déjà présents dans les textes précédents.

Quel est donc ce jugement dont il est question ici ? Et quel est le rapport entre la fête du Christ-Roi et ce texte ? Pour pouvoir répondre à cela, il faut d'abord se rappeler que le jugement est le propre du Roi, dans l'AT. Prenons le cas emblématique du jugement de Salomon. Le roi Salomon, qui porte un nom de paix et de prospérité (shalom), doit juger d'un cas difficile, celui de deux femmes prostituées qui accouchent toutes les deux d'un enfant, dans la même maison. Mais l'un des deux enfants meurt pendant la nuit, et l'une des deux femmes accuse l'autre d'avoir pris son enfant. Difficile de trancher dans cette situation ! Mais Salomon est habile à déchiffrer les énigmes. Et il demande précisément de trancher, de couper l'enfant en deux, et de donner la moitié à chacune des deux femmes. Alors, celle dont le fils était vivant, émue de compassion, supplie qu'on laisse l'enfant en vie, et qu'on le remette à l'autre dont le fils était mort. Tandis que l'autre femme préfère qu'on départage l'enfant en deux. Alors, Salomon comprit que c'était la première qui était vraiment la mère, et on lui remit l'enfant. Je vous laisse relire en détail ce passage à la fin du chapitre 3 du premier livre des Rois… Finalement, qu'est-ce que nous pouvons retenir de ce jugement, en lien avec notre évangile ? C'est que l'amour et la compassion sont les seuls critères du jugement. Nous serons jugés sur l'amour, sur nos actes. Le Fils de l'homme s'est identifié à toute personne dans la détresse, que ce soit le prisonnier, l'affamé, l'étranger ou le malade. Les œuvres que nous accomplissons doivent être le reflet de la relation profonde que nous entretenons avec le Christ. Elles témoignent de notre amour pour lui. Toute la Loi et l'ensemble des commandements consistent en ce critère de jugement qu'est l'amour parfait. Et l'amour demande certaines fois de trancher dans le vif, pour faire la lumière et la vérité. La parole de Dieu elle-même agit ainsi. L'épître aux Hébreux nous dit que celle-ci est vivante, énergique et plus coupante qu'une épée à deux tranchants ; elle va jusqu'au point de partage de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n'échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes (He 4,12-13).

Il nous appartient - comme le Christ qui va chercher la brebis égarée et malade - de juger de ce qui est bon, et de prendre soin de toute personne fragilisée par la vie, et que nous pouvons croiser sur notre route. Pour cela, il nous faut aller en profondeur, en laissant la parole du Christ, Roi doux et humble, en même temps que Juge suprême, nous rejoindre comme un glaive à deux tranchants dans tous les espaces de notre vie. Cela nous permettra de discerner ce qui relève en nous du bon grain et de l'ivraie, des brebis ou des boucs, car toutes ces réalités existent d'abord dans nos cœurs. Le Christ-Souverain, nouveau Salomon, a promis de nous apporter son Royaume de justice et de paix. Accueillons-le, afin qu'il règne dans nos vies et dans le monde. Amen.

Fr. Columba