Épiphanie du Seigneur Mt 2, 1-12
La nuit de Noël, c'étaient les voisins de Jésus, les bergers au cœur simple et humble, les pauvres, les anawims d'Israël, c'est à dire les petits dont la simplicité de cœur leur permettait de comprendre et de venir tout de suite. Et aujourd'hui ce sont des personnages d'importance qui viennent donc plus tard mais de très loin, des extrémités de la terre. Des gens importants dont l'intelligence du cœur leur a permis de discerner un appel et se mettre en route. C'est donc vraiment l'annonce de la Bonne Nouvelle à tous les hommes sans exception.
Ce décalage de temps suggère le même mystère de révélation de Dieu aux hommes, de son incarnation qui se déploie dans le temps, hier la naissance, aujourd'hui l'adoration des rois mages, demain le baptême au Jourdain puis la révélation à Cana. Oui, il faut le temps. Il nous faut le temps pour discerner la lumière de l'étoile à partir de ce que nous sommes et nous mettre en route vers le pays qui nous sera indiqué… Pars vers le pays que je t'indiquerai a dit Dieu à Abraham mais aussi à ces rois mages, à chacun d'entre nous. Et invités en quelque sorte à être rois mages c'est donc commencer par accepter de voir cette lumière et se mettre en marche, en mouvement, en conversion permanente et par là même refuser de se délecter dans sa nuit, d'être familier des ténèbres. Mais elle semblera parfois impossible à voir cette lumière. Dans la nuit spirituelle qu'il a vécue, saint Jean de la Croix était pourtant en marche, guidé par une étoile intérieure. Nous avons vu son étoile et nous sommes venus. Nous nous sommes mis en route avec confiance.
C'est ce que nous pourrions nous souhaiter, chacun à notre mesure en ce début d'année. Oui, suivre l'étoile, se laisser façonner par la Parole, par le Verbe, amènera à emprunter des chemins exigeants, parfois vertigineux, déconcertants, mais dans lesquels c'est toujours le même appel qui résonne, appel à être un vivant, aimant. Et cette étoile ne se laisse pas seulement voir à quelques-uns mais à chacun d'entre nous, si tant est que nous voulions bien la voir et nous laisser mettre en chemin par elle, la laisser un peu plus éclairer notre plus profond désir qui nous habite tous. Oui, malgré résistances et aveuglement, Dieu se démènera pour nous rejoindre là où nous désirons au plus profond de nous-mêmes mais peut-être jamais de la façon dont nous l'aurions souhaité ou imaginé. Oui, Dieu nous rejoint au cœur de notre désir devant cependant être purifié de bien des illusions, de bien des idoles dont le lâcher-prise pourra être difficile, crucifiant. Dieu nous rejoint avec humilité dans notre faiblesse, notre vérité, Lui qui s'est fait tout petit bout d'homme devant qui se sont prosternés les mages, représentants de l'humanité toute entière. Ce mystère, nous dit aujourd'hui saint Paul, c'est que toutes les Nations sont associées à ce même héritage, au partage de la même promesse.
Et nous laissant ainsi rejoindre dans notre fragilité, dans notre vérité, pourrons-nous cheminer, pèleriner plus légèrement, plus librement et plus librement faire aussi fructifier ces dons qu'Il a mis en nous et sur lesquels jamais nous ne devrons refermer la main tant ils ne nous appartiennent pas. Oui, avec humilité, soyons conscients de ces dons, de ces présents que comme les rois mages nous avons à offrir et qui ne seront pas toujours ceux auxquels nous pensions, ceux auxquels nous pensions être naturellement disposés : oui, en chacun d'entre nous, de façon unique se cachent de l'or, de l'encens et de la myrrhe qui ne sont pas toujours entreposés en nous là où nous pensions.
L'or ce pourrait être tout à la foi ce dynamisme qui met en route dans la foi, ce désir de construire dans la durée, cet amour inventif et persévérant. L'encens, ce pourrait être ce regard bienveillant posé sur l'autre qui lui donne confiance, dignité et l'invite à être un vivant. Encenser quelqu'un n'est pas le flatter mais savoir reconnaître et s'émerveiller du travail de l'Esprit en lui. La myrrhe pourrait être cette espérance contre toute espérance, ce désir de vivre malgré la souffrance et le combat ou encore cette capacité de mémoire qui fait que l'on se souvient toujours de l'essentiel et que lorsque cela ne va pas, l'on ose repartir sur le chemin se souvenant que la vie est la plus forte ou plutôt, que se sachant inscrit dans une histoire, sur une route l'on ose sans cesse repartir, sachant que c'est sur une croix que fut vaincue la mort.
Alors ces rois mages ne s'appelleront plus Balthasar, Melchior ou Gaspard, mais ils porteront nos noms. Oui, avec confiance comme les mages, apportons Lui un peu de notre or, de notre encens et de notre myrrhe afin qu'il puisse mieux, comme le suggère aujourd'hui Isaïe, dilater nos cœurs, ouvrir en nos cœurs de nouveaux chemins d'amour, de vie et de paix. Comme les mages, prosternons-nous devant l'enfant et sa mère. Silence, tout est dit.
frère Philippe-Joseph