Ascension du Seigneur (A) Mt 28,16-20

Frères et sœurs, cette année l'évangile ne nous parle pas explicitement de l'élévation de Jésus au ciel (c'est plutôt la première lecture qui le fait). Cependant, il nous dit quelque chose d'intéressant qui peut nous rejoindre. Matthieu explique que lorsque les disciples se prosternèrent devant Jésus ressuscité, certains eurent des doutes. Si l'on y réfléchit bien, c'est quand même assez incroyable ! Cela veut dire que le Christ choisit des hommes et des femmes qui doutent de lui, et qu'il les envoie précisément à ce moment-là pour baptiser et faire des disciples parmi les nations.

Et vous, est-ce qu'il vous arrive de douter ? J'espère que oui, car le doute est essentiel pour croire ! En effet, c'est l'aiguillon du doute qui fait grandir la foi, et l'empêche de stagner, de se ratatiner et de se rabougrir au point de s'éteindre un jour. Si vous faites face à l'incertitude, c'est bon signe, car cela va vous obliger à avancer plus loin, à chercher à comprendre, à creuser votre relation à Jésus dans la prière, dans votre vie quotidienne, et à compter davantage sur lui. Je pense qu'il n'y a rien de pire qu'un croyant qui est sûr de lui-même. Il n'a plus besoin de Dieu, et ne peut pas être sauvé… En fait, le doute fait partie de la vie. Je peux douter d'être aimé par les autres, douter de moi-même et de mes capacités. Pourtant, je sais qu'il y en a un qui ne doute jamais de moi, c'est le Christ, qui me promet de me donner sa propre puissance, son Esprit Saint, pour partir l'annoncer au monde. Et ce Souffle, il ne peut venir que s'il y a du vide et de l'espace en moi. Cet espace est justement mon manque de foi, mais c'est aussi le signe d'une foi ouverte à la relation. Frères et sœurs, nous sommes tous un peu « fêlés » dans notre foi ! Il y a une faille en nous, et c'est à travers cette faille que le Seigneur peut nous rejoindre, en laissant passer la lumière de son Amour. Cette faille, ce manque, c'est aussi le lieu où les autres peuvent nous rencontrer et se sentir en confiance. Le manque de foi, paradoxalement, devient une force pour annoncer le Christ.

Alors, pourquoi je vous parle de cette question du doute le jour de l'Ascension du Seigneur ? Parce que précisément nous entrons, dès aujourd'hui, dans le temps de l'absence, dans le temps du désir et du manque. Le « désir » (de-siderium, en latin) est justement ce qui nous fait scruter les étoiles, au cœur de la nuit de la foi. Le Christ s'en va vers le ciel, il repart vers son Père. Et nous attendons l'Esprit qu'il nous a promis. Il y a un écart en nous, entre ce que nous vivons aujourd'hui, et ce que nous espérons. C'est un temps de manque, de vide, de deuil et de tristesse. Un moment où notre foi est éprouvée. Mais Jésus nous demande de ne pas rester dans cet état. Si nous confessons notre manque de foi, notre doute, nous devons aussi comme les disciples nous prosterner devant Jésus pour recevoir cette force, cette énergie, cette vigueur dont parle saint Paul dans la deuxième lecture. C'est une puissance incomparable qui se déploie pour nous, les croyants. Alors, n'ayons pas peur de nos doutes. Si Jésus semble absent, c'est bien normal ; il nous faut passer par la nuit de la foi. Le Christ ne nous laisse pas orphelins. Il veut nous donner son Esprit, sa Lumière, quand il le voudra, quand il le jugera bon. Pour l'instant, nous devons traverser ce passage obscur. Jésus dit bien ceci aux apôtres : Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père à fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre.

Le Christ s'en va vers le ciel dans une nuée. Et les anges nous disent, comme aux apôtres, que ce n'est pas la peine de rester là à regarder vers le ciel, car Jésus reviendra de la même manière pour nous prendre avec lui. Donc, pour l'instant, désirons le ciel, mais agissons sur la terre. C'est ici, sur cette terre, qu'est notre mission, qui consiste dans le témoignage de son amour au monde entier. Il ne s'agit pas de s'évader, de fuir notre condition humaine. Notre vraie patrie est dans le ciel, mais c'est dans l'espérance du retour de Jésus. En cette neuvaine de la Pentecôte, ne soyons pas tristes de ce manque, mais faisons de ce désir du Christ une porte ouverte vers le ciel, un appel d'air à l'Esprit tant attendu. Pour nous y aider, reprenons ensemble ces mots de l'hymne latine pour l'Ascension : « Jésus, notre rédemption, notre amour et notre désir (desiderium), (…) puisses-tu être notre joie, toi la récompense à venir ! Que notre gloire soit en toi, à travers tous les siècles ! ». Amen.

Fr. Columba