7° Dimanche du TO*A Mt 5, 38-48
Chers frères et sœurs, on a signé. En entrant dans cette église en ce dimanche, jour du Seigneur, pour célébrer ensemble cette eucharistie, nous confessons concrètement notre foi chrétienne. Nous manifestons notre adhésion au contenu de cette foi transmis à travers les âges jusqu'à nous. Qq part, nous nous engageons à en témoigner devant les hommes pour leur transmettre ce contenu afin qu'à leur tour ils le confient à d'autres si du moins ils veulent bien l'accueillir.
Ce message auquel nous adhérons, nous le croyons recueilli entre autres dans les Ecritures qui constituent l'une des 2 tables de nos célébrations eucharistiques : la table de la Parole. Cette Parole aujourd'hui nous interpelle, cette Parole aujourd'hui nous saisit en nous ramenant à l'essentiel : l'amour du prochain tel que l'ancienne loi, exprimée dans le passage du Lévitique entendu, nous le commande et non seulement l'amour du prochain mais aussi l'amour de nos ennemis comme nous y exhorte le Seigneur dans son évangile, la loi nouvelle, établissant par là un saut qualitatif, et non des moindres, dans l'exercice de l'amour qui atteint là sa perfection selon lui, une perfection divine. Bref, cette Parole nous invite à un sérieux déplacement, elle nous oblige à sortir de nos ornières, celles de nos conforts affectifs où l'on aime seulement ceux que nous aimons et ceux qui nous aiment, ce en quoi nous ne faisons rien d'extraordinaire. L'amour de mes ennemis, pas fou non ?! Et bien si, ainsi s'exprime la folle sagesse de Dieu. C'est bien à la folie de l'amour que le Seigneur nous convie aujourd'hui. Un amour dilaté et dilatant capable d'embrasser tout le monde. Seulement attention, gare aux idéalismes béats et bêtas. Ce n'est pas à l'amour « peace and love » que le Seigneur nous appelle. Cet « amour » mou et sans consistance prêt à gober n'importe quoi. C'est à l'amour en vérité que le Seigneur nous convie, cette exigence de l'amour vrai qui oblige l'autre qui en est l'objet à faire le même chemin que celui qui en est le sujet. En confessant la foi chrétienne, en venant dans cette église pour célébrer ensemble cette eucharistie, sacrement de l'amour du Seigneur pour tous, nous nous engageons à être témoins de cette Parole que nous croyons créatrice et salvatrice parce qu'elle est aimante. Cette Parole nous fait, et non seulement cela, elle nous sauve si du moins nous y sommes attentifs, si du moins nous en devenons les vrais disciples. Cela ne peut se faire que si nous mettons cette Parole en pratique. En mettant la Parole en pratique, elle nous transforme, en nous transformant, elle fait de nous des êtres nouveaux, ceux du monde à venir, des témoins du Royaume qui est celui du règne de l'amour de Dieu.
Cette exigence évangélique, cette perfection de l'amour divin pour tous à laquelle nous sommes appelés, peut sembler inaccessible aux seules forces de moineaux voire de moustiques dont nous sommes dotés et de fait elle l'est, à en jeter l'éponge de dépit voire de désespoir parfois. Cependant c'est sans doute là que quelque chose peut se jouer car si cela semble inaccessible, impossible pour nous, ça ne l'est pas pour Dieu. Or Dieu vit en nous, en chacun d'entre nous. C'est exactement ce que Saint Paul nous dit dans son épître aux corinthiens : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1 Co 3, 16) ? » Cet être divin qui sommeille en nous, fondement de notre noblesse et de notre dignité, certes parfois bien cachées, ne demande qu'à croître, à se dilater et à se manifester pour témoigner de la présence de Dieu en ce monde. Cet être divin dont nous sommes tous porteurs est très sensible à l'écho qu'il peut entendre de lui-même en autrui chez autrui comme le dit encore saint Paul en l'un de ces passages les plus beaux et prophétiques du N.T. : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l'a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l'espérance d'être, elle aussi, libérée de l'esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu (Rm 8, 19-21) ».
Chers frères et sœurs nous pressentons tous que notre monde est à un tournant de son histoire. La question grave et sérieuse qui se pose aujourd'hui est la suivante : qu'est-ce que l'homme de notre temps fait de ce sanctuaire sacré qu'il est ? Le néglige-t-il ? Ou pire le détruit-il ? Qu'est-ce qu'il fait de son intériorité ? Qu'est-ce qu'il fait de la noblesse et de la dignité de ce titre d'enfant de Dieu ? La véritable écologie, elle est d'abord intérieure. Notre environnement est malade parce que nous la négligeons. Entendons cet avertissement cinglant de saint Paul : « Si qqn détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme Dieu le détruira ». C'est dommage d'en arriver là mais parfois on se pose la question : Dieu doit-il se faire craindre pour que l'homme arrête ses bêtises, « son amour du néant et sa course au mensonge (Ps 4, 3) » ? Le cœur de l'homme est-il si endurci qu'il faille devenir menaçant ? Si Dieu manifeste le mystère de la toute-puissance de sa bonté par sa capacité à tout supporter dans une patience insondable, n'oublions pas qu'il n'est pas non plus l' « amour mou » mais qu'il éprouve pour nous un amour jaloux qui peut faire des étincelles. A moins que. A moins que pour négocier ce virage dans lequel se trouvent notre monde et notre époque, leur soient proposées de nouveau le courage, l'audace et la folie du message évangélique, à moins que ne leur soit proposé de nouveau de gonfler la voile intérieure de l'espérance : celle d'une destinée éternelle et heureuse, destinée qu'il pourrait pressentir dès ici-bas s'il voulait bien prendre les fortes et nobles armes du combat spirituel, s'il en a le cran, celui du témoignage de cette voie supérieure qu'est celui de l'amour même de Dieu.
P. Matthieu Gillet (P. Abbé de l'Abbaye de Fleury)