6° Dimanche du TO*A Mt 5, 17-37

Frères et sœurs, depuis trois dimanches les Évangiles se suivent immédiatement : les Béatitudes – le sel et la lumière – et aujourd'hui : Jésus et la loi. Il nous faut lire ensemble ces passages d'Évangile, parce qu'ils ont été rédigés pour être lus ensemble. C'est-à-dire que dans nos vies, il s'agit d'être heureux du bonheur – certes paradoxal – des Béatitudes ; un bonheur à la fois exigeant et fait de mesure.

L'excès de sel ou de lumière, c'est la rigueur mortifère qui occulte l'amour de Dieu. Cet excès mène au fanatisme, à l'idolâtrie, à la sacralisation d'une personne ou d'une fonction. Un excès de lettre peut tuer l'esprit ; un excès de loi peut tuer l'amour.

À l'inverse, un manque de sel ou de lumière, c'est le laisser-aller, l'indifférence, le manque de saveur évangélique de nos vies, avec comme corollaire un manque d'amour dans la pénombre d'une vie devenue insipide.

Et c'est précisément là que se produit un choc : le choc de la Parole de Dieu.

Joseph Ratzinger disait dans une conférence en 1966 ; il avait alors 39 ans :

La liturgie ne consiste pas à nous remplir du sentiment du sacré ou de frissons. Elle ne consiste pas à nous mettre dans une ambiance de solennité et de beauté pour nous recueillir et méditer en paix, mais à nous mettre en face du glaive tranchant de la Parole de Dieu.

C'est ce qui se passe aujourd'hui …

« (…) je ne suis pas venu abolir [la Loi ou les Prophètes], mais accomplir ». Mais que veut dire « accomplir » dans cet Évangile même ? : « pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi » mais il faut que notre justice surpasse celle des scribes et des pharisiens. Et Jésus détaille comment surpasser la justice des scribes et des pharisiens de son temps.

Plus loin dans l'Évangile de Matthieu, au chapitre 12, il est question du sabbat : non pas un sabbat enfermé dans des règles qui paralysent la vie et le salut de Dieu, mais un sabbat au service de l'humanité. Somme toute, une justice qui surpasse celle des scribes et des pharisiens. Au chapitre 15 de Matthieu, Jésus aura cette parole terrible à leur encontre : hypocrites ! vous annulez la Parole de Dieu au nom de votre tradition. Et cela culminera au chapitre 21 de Matthieu avec à six reprises « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites ». Frères et sœurs, lisez ces chapitres cette semaine, en lien avec l'Évangile de ce jour.

Et pour nous aujourd'hui, et pour l'Église ? Il s'agit que notre justice surpasse celle des scribes et des pharisiens de notre temps. Il y en a, et le Pape François le dit souvent. Comment faire ?

Reprenons durant la semaine, tel ou tel point que développe Jésus. Et voyons comment notre justice peut surpasser celle des scribes et des pharisiens de notre temps. Y compris si nous sommes coléreux, y compris si nous avons une sexualité compulsive. Et lisez dans votre Bible la suite des exemples que donne Jésus, car il ne s'arrête pas là ! Il continue avec la loi du talion et l'amour des ennemis.  

Dans chacun de ces développements, regardez de près comment Jésus procède. Il cite la Loi dans le livre de l'Exode, des Nombres, du Lévitique, du Deutéronome – et il restitue à la Loi sa profondeur et sa visée.

La Loi dans le judaïsme est une limite pour nous libérer, pour une vie plus authentique. Jésus vient libérer la Loi qui libère – non en supprimant la Loi – mais en la libérant dans l'infini de ses potentialités.

Et ce faisant, il fait exploser les cadres de tous les arrangements, il fait exploser les cadres des interprétations : à la fois les interprétations rigoristes et les interprétations dulcifiantes. C'est cela qu'il nous faut accueillir, dans le profond de notre lectio divina, de notre prière. Et après agir, concrètement, pas à pas, mais résolument, avec la force que donne la Parole de Dieu telle que Jésus la restitue dans son mordant et ses incidences.

Puis, à partir de là, acquérir peu à peu un esprit à la fois exigeant et large, comme Jésus … et ce n'est pas si facile. Apprenons à voir dans toute la Bible qu'il y a des infractions à la Loi qui sont en fait des fidélités. Et aussi des excès de sens, des plus par rapport à la Loi qui sont aussi des fidélités. Mais pour cela, il faut être libéré du légalisme et du rubricisme. Maurice Ruben Hayoun, philosophe, historien et exégète de confession juive nous disait récemment : le ritualisme est un fétichisme de la loi.

Pour nous chrétiens, il nous faut accueillir la liberté du Christ, la liberté dans l'Esprit Saint, la liberté qui crée du neuf à partir de l'ancien. Et nous pouvons nous y aider en lisant ou relisant le grand texte qu'est La Joie de l'amour – Amoris laetitia – du Pape François.

Il écrit : il ne s'agit pas d'appliquer seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations dites irrégulières, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C'est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l'Église pour juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées.

Et il répète ce qu'il écrivait déjà dans La joie de l'Évangile – Evangelii gaudium – : « un petit pas, au milieu de grandes limites humaines, peut être plus apprécié de Dieu que la vie extérieurement correcte de celui qui passe ses jours sans avoir à affronter d'importantes difficultés » (Amoris laetitia n° 305). Voilà de quoi surpasser la justice des scribes et des pharisiens de notre temps.

Enfin, je vous laisse dans votre méditation, avec cette phrase d'un vieux sage, d'un vieux moine qui est mort récemment : lorsque nous manquons de miséricorde, et que nous abritons notre dureté de cœur derrière les prescriptions de la loi, c'est bien souvent pour essayer de fuir une rencontre avec nous-mêmes, une confrontation douloureuse avec notre propre vérité. Rencontre et confrontation dont nous pressentons obscurément les exigences de conversion à laquelle cependant, à ce moment-là, nous ne nous sentons pas encore prêts ».

Fr. Jean-Jacques