3° Dimanche de Carême (A) Jn 4, 5-42

Chers frères et sœurs, chers amis… Avons-nous soif ? De quoi avons-nous soif ? Un de nos grands écrivains a beaucoup écrit sur la soif, un certain Rabelais et l'interminable voyage de son Pantagruel en quête du pays de la Dive bouteille ! Derrière sa gouaille et la satyre, Rabelais nous parle de l'inextinguible soif, de l'inextinguible désir de vivre. Rabelais a écrit son Pantagruel peu après une grande tragédie oubliée : la Grande Peste, au cours de laquelle, selon les endroits, entre un tiers et deux tiers de la population a disparu en doulce France. Au sortir de ce traumatisme, un immense désir de vivre s'est manifesté parmi les survivants dont Rabelais est le témoin.

Au temps de Jésus, il y avait en Judée, occupée par les Romains, une immense soif de liberté. Jésus, qui connaît le cœur de l'homme, connaît toutes ces soifs de l'âme humaine : soif d'eau, de pain et de vin, soif de liberté, soif d'affection et d'amour, soif de reconnaissance et de respect, toutes ces soifs insatiables. Toute la pédagogie de Jésus, sa maïeutique, consiste à prendre appui sur ces soifs pour faire découvrir la véritable soif, à la source de toutes les autres : la soif de Dieu, de la Parole de Dieu, de la Vie de Dieu : « Seigneur, donne-moi toujours de cette eau, que je n'aie plus besoin de venir puiser ici… et de m'épuiser ! » Et, petit à petit, Jésus amène la Samaritaine à découvrir sa vraie soif et la source vive, la source intérieure qui jaillit en vie éternelle. A tel point que, après sa conversation avec Jésus, après avoir pris conscience de sa découverte, elle en oublie la cruche qu'elle avait apportée pour puiser de l'eau, et elle part annoncer la nouvelle à ses concitoyens.

En nous faisant passer de nos soifs humaines à la soif de Dieu, Jésus ne fait qu'actualiser la Parole de Dieu proclamée par les prophètes et tout particulièrement Jérémie et Ezéchiel. « L'homme ne vit pas seulement de pain mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu. » Comme le rappellera saint Paul : l'eau du Rocher de Massa et Mériba dans le désert de la soif, était un signe, c'était déjà la manifestation du Christ, source rafraîchissante pour les assoiffés dans le désert du monde.

Mais la révélation de la vraie soif qui nous habite ne s'arrête pas là ! « Donne-moi à boire » dit Jésus à la Samaritaine, préfiguration de cette autre demande exprimée par Jésus dans ce même évangile de Jean : « J'ai soif ! » crie-t-il sur la croix. Par ce cri, Jésus nous révèle la soif de Dieu lui-même. Si nous sommes tant assoiffés d'amour, c'est parce que nous avons été créés par Dieu, le grand Assoiffé d'Amour. A travers les paroles et les gestes de Jésus, Dieu se découvre non comme le tout-puissant, le potentat auquel il faudrait se soumettre servilement, mais comme le mendiant d'amour. C'est pour cela qu'il partage corporellement nos soifs en Jésus, qu'il est le Compatissant par excellence jusque sur la Croix comme nous le montre saint Luc. « De son sein couleront des fleuves d'eau vive », Jésus au cœur transpercé est cette source d'eau vive, rafraîchissante, régénérescente. Le baptême et la communion au corps et au sang de Jésus, sont la rencontre et l'interpénétration de la soif de l'homme et de la soif de Dieu. Dieu veut nous élever à ce profond et merveilleux échange d'amour dans lequel l'insatiable soif de l'un et de l'autre trouvent l'inépuisable source.

Alors, le cœur de l'homme devient comme le cœur de Dieu, il se laisse transpercer par cette insatiable soif d'amour et de vie en faveur de ses frères et sœurs en humanité. C'est ce que fait la Samaritaine en allant trouver ses compatriotes, préfiguration des femmes annonçant la résurrection de Jésus aux apôtres. Alors Jésus vient séjourner trois jours parmi eux, dans cette ville de Samaritains, cette ville d'étrangers, et eux-mêmes peuvent boire à la Source : « Ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes nous l'avons entendu, et nous savons que c'est vraiment lui le Sauveur du monde. »

Alors, tout à l'heure, quand vous prendrez l'apéritif ou boirez quelque boisson délicieuse – rappelons que le dimanche, l'observance de carême est suspendue en l'honneur de la Résurrection de Jésus – en buvant, donc, rendons grâce à Dieu d'être venu nous rejoindre et prions-le d'accroître en nous la soif et le désir de la source vive, et que notre soif devienne de plus en plus communicative. Et comme aime à le dire notre cher pape François à chaque Angélus : « Buon pranzo e buon appetito ! »

Fr. Pierre