4° Dimanche de Carême, de Laetare (A) Jn 9, 1-41

En voila un Evangile pour un dimanche de Lætare avec cet homme aveugle de naissance, enfermé dans une situation sans issue, réduit à survivre ! Humainement, il n'y a pour lui aucun autre espoir que quelques piécettes journalières. Non seulement il n'y a rien à faire contre sa cécité de naissance mais en plus il porte le lourd poids social d'une grande impureté qui expliquerait les réactions des uns et des autres à son sujet.

L'explication traditionnelle à l'époque pour une telle disgrâce était en effet que l'infirmité ne pouvait-être que le châtiment d'un péché, de l'individu lui-même voire des parents et ascendants. Bref, cet homme est irrémédiablement prisonnier de son mal, de son handicap et d'un statut social marginalisant. Et aujourd'hui nous pourrions nous sentir concernés tant par sa situation que par ce regard suspicieux porté sur lui, l'exclu et qui pourrait parfois être le notre, même sur nous-mêmes, mais qui ne sera jamais celui de Dieu, d'un Dieu qui nous le ferait payer par une situation dégradante. L'on pourrait parfois être tenté par le mépris ou devant le comportement de certains d'espérer que Dieu les punisse, voire de se réjouir de leur infortune en se disant que c'est bien fait et qu'il y a une justice au Ciel. Qui d'entre nous ne s'est parfois dit : « Qu'ai-je fait au Bon Dieu pour qu'il m'arrive ce malheur ? » Mais là, il faudrait vraiment nous sortir de la tête et du cœur ces images si déformées et réductrices d'un tel Dieu rétributeur. Dieu ne veut jamais le malheur, le handicap, l'infirmité, la guerre. Il ne se réjouit pas de nos souffrances, mais comme il le fait sur la Croix, comme il le fait aujourd'hui avec cet aveugle de naissance, il est un Dieu doux et humble capable de nous rejoindre au cœur de ces malheurs, de ces souffrances. Oui, « Ni lui, ni ses parents n'ont péché, dit Jésus, mais il fallait ainsi que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. » Oui, Il fallait qu'ainsi, l'amour de Dieu se révèle librement et avec éclat, quitte à provoquer, quitte à susciter bien des interrogations plus ou moins bienveillantes. Voilà qui est intéressant, comme Dieu a eu en quelque sorte besoin de cet aveugle pour manifester quelque chose de ses merveilles, il a besoin de nous pour manifester quelque chose de son bienveillant dessein d'amour pour tous. Et cette coopération ne coulera pas comme un long fleuve tranquille. Le cas de notre aveugle peut à nouveau nous enseigner car à peine a-t-il enfin les yeux ouverts que les problèmes sembleraient s'accumuler pour lui. Enfermé dans sa situation d'aveugle mendiant, il semblait bien tranquille et le voilà à présent en butte à l'incompréhension voire l'hostilité des notables. Il est pris dans un véritable interrogatoire en règle auquel il ne se dérobe pas en faisant preuve d'un solide bon sens lui permettant même de se payer le luxe, lui, l'impur, de les apostropher : « Moi je vois, et vous, vous n'écoutez pas, vous n'entendez pas, vous ne comprenez pas...Vous ne voyez pas ! » Il leur a pourtant bien expliquer ce que Jésus a fait, c'est à dire un peu de boue qui a été appliquée sur ses yeux et c'est alors qu'il a vu pour la première fois de sa vie.

Mais rien à faire, ils ne peuvent pas comprendre que c'est un homme nouveau, renouvelé, qu'ils ont à présent devant eux, une création nouvelle. Comme Dieu a créé l'homme avec la glaise, voilà qu'avec un peu de glaise dans les yeux, Jésus lui donne non seulement la capacité de voir, mais aussi une dignité d'homme debout, de fils de lumière capable de confesser sa foi librement : « Je crois Seigneur. » Et là, le parcours de cet aveugle nous concerne encore plus au plus haut niveau, car nous aussi, nos yeux ont été ouverts à la vraie lumière le jour de notre baptême. Beaucoup d'entre nous ne se souviennent évidemment pas de leur baptême, enfançons que nous étions alors, mais ce jour là, une graine de lumière a été déposée au fond du cœur où Dieu sait si bien nous rejoindre. Une graine de lumière qui voudrait tendre à devenir une clarté toujours plus forte à propager, à partager. Lumière qui produit tout ce qui est bonté, justice et vérité, avons-nous lu dans la lettre de saint Paul aux Ephésiens. Lumière qui nous ferait regarder au-delà des apparences comme pour Samuel avec les fils de Jessé. Lumière qui bien souvent ne permettra pas une confortable installation, mais tout au contraire pourra être un signe d'incompréhension pour des semblables ne supportant pas que soient révélés bien des faux-semblants. Lumière qui sera encore signe de conversion parfois douloureuse obligeant à regarder notre vérité en face. Alors n'ayons pas peur de laisser croître en nos cœurs cette exigeante grâce du baptême en la renouvelant, spécialement en ce temps de carême notamment avec ce sacrement de réconciliation par lequel nous essayons de reconnaître ce qui nous aveugle en nos vies, les zones d'ombres que nous laisserions aisément telles, les obstacles et autres souffrances qui amoindrissent notre capacité d'aimer, bref, notre péché. Risquons-nous alors à cette lumière, comme cet aveugle qui, par-delà l'adversité et la contradiction, reconnaît qu'en Jésus, Dieu l'aime au point de n'avoir pas hésité à le rejoindre au cœur de son infirmité comme il cherche à nous rejoindre tous au cœur de nos difficultés, souffrances plus ou moins aiguës et autres croix. Nous aussi, n'oubliant jamais de quels aveuglements et autres esclavages Il nous a libérés et continue de vouloir nous délivrer, osons comme cet aveugle un acte de foi, désirons voir Dieu, désirons être capax Dei, capable de Dieu pour reprendre une expression de saint Augustin, c'est à dire capable d'accueillir davantage ce Dieu Vivant d'amour à l'image duquel nous sommes créés mais dont la lumière est cependant redoutable. « La gloire de Dieu c'est l'homme vivant, écrivait aussi saint Irénée de Lyon au 3e siècle, et la vie de l'homme c'est de voir Dieu. » La grâce de notre baptême n'aura jamais fini de nous surprendre, alors ne cessons jamais de l'accueillir avec joie : Lætare !

Frère Philippe-Joseph