25° Dimanche du TO*A Mt 20, 1-16

Imaginons la scène.
En cette saison des vendanges, des patrons vignerons, s'en vont heure par heure, tout au long du jour, recruter des ouvriers.
Quand vient l'heure de la paye, ils versent à tous le même salaire, sans tenir compte le moins du monde du nombre d'heures de travail de chacun.
Les travailleurs se révoltent, les syndicats s'indignent :
Qui sont ces patrons ? ... Où allons-nous ... ?
une injustice pareille, du jamais vu !

Frères et sœurs, l'Évangile des ouvriers de la dernière heure, que nous venons d'accueillir, ferait-il l'éloge de l'injustice et du caprice d'un employeur malhonnête ?
Poser la question, n'est-ce pas la résoudre !
Il ne s'agit évidemment pas de cela.
Alors, à quoi peut bien penser Jésus quand il raconte une histoire pareille ?
Il est question d'un vigneron. Qui est-ce ?
Il est question d'ouvriers envoyés à la vigne. Qui sont-ils ? Pour quel travail ?
Et dans quelle vigne ?

Le vigneron, qui est-il ? C'est le Seigneur Dieu.
En effet, Jésus a un message étonnant à faire entendre, à transmettre au sujet de Dieu, si bien que ce n'est pas d'abord de vendanges qu'il s'agit, mais de Dieu.

Qui est Dieu ?
Comment s'imaginer Dieu ? À qui ressemble Dieu ?

Bien des gens expriment leur foi :
«Je suis croyant, moi, je crois en Dieu».
Oui, mais quel Dieu ? À quel Dieu croyons-nous ? Connaissons-nous le Dieu de la Bible, le Dieu que, précisément, le Christ nous a révélé ?

Certes, il faudrait relire l'ensemble de l'Ecriture sainte et surtout l'Évangile.
Relevons simplement quelques paraboles pour pressentir qui est le Dieu que Jésus appelle son Père.
* Si c'était un berger, il quitterait ses 99 brebis, pour courir après la brebis perdue.
* Si c'était un père de famille, il accueillerait son fils ingrat qui a quitté la maison.
* Si c'était un cultivateur, il sèmerait la semence à tous vents.
* Si c'était un vigneron ...

Frères et sœurs, les paraboles sont des histoires où, tout à coup, rien ne se passe comme il serait normal.
Elles contiennent toutes un grain de folie, un brin d'extravagance, de démesure…
La parabole du vigneron ne fait pas exception.
La démesure est voulue pour piquer l'attention, pour nous préparer à entendre un message étonnant.
La démesure, pour révéler le visage d'un Dieu qui nous aime avec démesure.

S'il s'agissait du patron d'un vignoble, il ne pourrait pas faire comme cela.
S'il s'agit de Dieu, notre Père, c'est pourtant absolument comme cela qu'il se comporte, nous dit le Christ.
Le Seigneur Dieu embauche inlassablement, il appelle depuis toujours, à toutes les heures de l'histoire de l'humanité, à toutes les heures de la vie d'un homme et d'une femme.
Nous sommes chrétiens, peut-être depuis notre enfance, certains le sont à l'âge adulte, d'autres au terme de leur vie.

Notre Dieu fait confiance à tous, même aux derniers venus, à ceux que nous n'attendions pas, à ceux qui ne s'y attendaient pas, à ceux qui ne le méritaient pas.
Or, avec le Seigneur, il n'est pas question de mérites, de salaire, pas de barème, pas d'horaire.
Ce n'est pas une question d'heures passées.

Ce vigneron révèle décidément un Dieu inimaginable, déraisonnable, qui donne gratuitement, sans comptabiliser les heures et les mérites, un Dieu qui ne désespère jamais de personne, jusqu'à la dernière heure, un Dieu pour qui il n'est jamais trop tard.

Cela nous étonne ? Pourtant, c'est tout l'Évangile !
Jésus, le Fils de Dieu, a révélé cet amour gratuit de son Père auprès de tous ceux et celles qu'il a croisés sur son chemin.
Combien étaient-ils qui désespéraient d'eux-mêmes, parce que leur entourage les avait méprisés, condamnés.

Pensons à la prostituée venue troubler de ses larmes et de son parfum le repas organisé par Simon le pharisien.
Pensons à Zachée, le fonctionnaire véreux,
pensons à la Samaritaine ou au larron en croix, un ouvrier de la onzième heure, celui-là, et même du dernier quart d'heure !
Jésus a posé sur eux tous un regard de tendresse qui, au-delà de leurs défaillances réelles, a su rejoindre leur cœur et y faire luire l'espérance.

Frères et sœurs, il n'y a rien de plus important pour nous, en ce dimanche, que d'accueillir et de contempler le visage du Dieu vigneron. Quelle bonne nouvelle !

Oui, Bonne nouvelle !
Cependant, demeure une interrogation fondamentale, tout de même, et, sans doute, nous nous la posons.
Elle est radicale : c'est une bonne nouvelle, d'accord,
mais beaucoup trop bonne pour être vraie !
Si, quoi que nous fassions, Dieu nous aime quand même, ne trouvez-vous pas que c'est un peu facile et, finalement, un encouragement à la passivité, au moins ?

Frères et sœurs, il ne faut tout de même pas lire l'Évangile à l'envers.
Jésus Christ ne nous dit pas que nous pouvons faire de notre vie n'importe quoi. Il ne nous encourage pas en ce sens !
Toutefois, dans cette parabole et dans tout l'Évangile, d'ailleurs, il nous rappelle qu'aucune de nos infidélités ne lasse la fidélité de Dieu et qu'il attend l'heure où nous serons enfin prêts, même si c'est la onzième heure, enfin prêts à répondre à son invitation à rejoindre ceux et celles qui travaillent à sa vigne.

«Allez à ma vigne, vous aussi.»
C'est-à-dire au travail, au travail pour annoncer d'une manière ou d'une autre le message heureux de l'Evangile !
Il n'est jamais trop tard pour s'y mettre !
En vérité, la foi chrétienne nous met au travail.
La foi chrétienne n'est pas un état d'âme, si élevé soit-il, c'est d'abord la volonté d'agir pour faire advenir concrètement en ce monde le Royaume de Dieu ou tout au moins des éléments de ce Royaume.
C'est cela travailler à la vigne du Seigneur !

Il s'agit d'accepter d'être comme le Christ au milieu du monde.
En effet, le Seigneur n'a pas d'autres mains que les nôtres pour transformer le monde.
Les mains du Christ, le regard du Christ, la tendresse du Christ doivent désormais passer par nos mains, nos yeux et notre cœur.

Nourrir ceux qui ont faim, vêtir ceux qui sont nus, soigner, visiter, accueillir, pardonner, autant de gestes concrets qui vont signifier pour nous une réponse vraie au Maître de la vigne qui nous embauche.

Bien entendu, travaillons d'abord dans le petit arpent de vigne qui est le nôtre :
la communauté, la famille, l'école, la profession ou le lieu d'engagement, les relations amicales, etc.
Toutefois, il faut aussi prendre notre part à un travail plus vaste, car la vigne qui nous est confiée ne se limite pas aux quatre murs de nos monastères, de nos maisons ou de nos appartements.
Elle est vaste comme le monde.
Il y a du travail, car le monde a mal, la terre a mal.
Il s'en faut de beaucoup que les fruits de la vigne soient partagés entre tous les hommes, entre tous les continents.

Certes, beaucoup sont attelés à cette tâche, heureusement, et les chrétiens n'en ont pas le monopole.
Cependant il serait étonnant, il serait même scandaleux, que les chrétiens qui croient avoir une réponse à donner au Dieu qui les habite, ne soient pas aux avant-postes avec les autres, pour dénoncer ce que nous appelons l'inhumain sous toutes ses formes et pour faire advenir un monde plus humain.

Frères et sœurs, voilà quelques-uns des accents que nous pouvons retenir de cette parabole qui nous paraissait étrangère à notre vie et qui, au contraire, en est si proche.

Le vigneron, c'est Dieu, un Dieu inattendu qui n'a pas fini de nous surprendre.

Les ouvriers envoyés à la vigne, ils sont inattendus eux aussi. Ils ne s'y attendaient pas, parce que c'est nous tous,
parce que c'est chacun de nous.

Amen.

Fr. Benoît-Marie